Depuis vendredi, des justiciars du Thalmor traversent Havre, où ils font étape avant de se rendre à Fâneracine. Ils ne semblent pas chercher quoi que ce soit en particulier, mais ils ont fait afficher un peu partout en ville les nouveaux avis de recherche mis en place par le Thalmor.
Les dernières affiches en date sont, de l’aveu des justiciars eux-même, un peu anciennes, puisque leur publication a été freinée par les événements récents ayant frappé Prime-tenure. Cependant, les membres de la Plume y jetant un œil auront la surprise d'y reconnaitre des visages familiers :
La nuit caressa le visage du khajiit, dont le casque qui avait masqué ses traits toute la journée était resté au camp. Il avait été d'une facilité déconcertante d'en sortir sans réveiller Eiffy, qui comme à chaque fois, n'avait rien entendu. Sûrement fallait-il voir là le sommeil lourd que possédait l'elfe des bois, quand bien même elle se plaignait chaque matin de ses mauvais rêves. Des mauvais rêves... D'aucun dirait que depuis quelques temps, les cauchemars avaient envahi le monde des vivants, et le khajiit n'aurait pas été de ceux qui aurait contredit cette idée. Ils marchaient en plein milieu d'un cauchemar, inconscients du précipice vers lequel ils fonçaient tous inexorablement.
Les plus idéalistes se rangeait soit dans le camp des bellicistes, soit dans celui des neutres. Les uns s’entre-tuaient sur toute la surface de Tamriel, parfois jusqu'à abandonner l'idéal même qui les avaient poussé à participer au bain de sang. Une telle sauvagerie, une telle barbarie animait leurs actes, et certains allaient même jusqu'à apprécier cela. Les autres, les neutres, restaient sur le côté, à observer les choses se détériorer, en fermant les yeux, ou en se jetant avec l'énergie du désespoir sur des menaces qui dépassaient de loin leur entendement, telles que la Mort ou les dieux. Qui pouvait être assez fou pour défier des dieux ?!
Bien que la nuit autour de lui soit d'un noir d'encre, il n'avait aucun de mal à se repérer, son regard luminescent guidant ses pas, les lunes au dessus de lui, même cachées par le feuillage, guidant son âme. Seul un khajiit pouvait comprendre la félicité de suivre Mys'thar, en restant lié avec le cosmos grâce au sucrelune. Et les autres appelaient ça se droguer ? A chaque fois qu'il s'entendait dire cela, ou une remarque sur sa soit disant gourmandise, il se sentait rire en son fort intérieur devant tant d'ignorance. Et il avait comme le sentiment d'être un dieu, lui qui détenait une vérité dissimulé aux autres, l'un des secrets donnés à Azurah par Fadomaï, tout en sachant être lui-même la source des moqueries d'un être supérieur à lui.
Mais il faisait confiance au chemin que lui traçait Mys'thar jusqu'à Ja-Kha'jay, et au profit qu'il saurait en tirer, à terme. Il cheminait depuis trop longtemps, maintenant. Il avait fait bien trop de sacrifices. Soudain, la mémoire lui revint, et il revit comme s'il l'avait encore sous les yeux, l'affiche concernant l'avis de recherche à son nom. Depuis la première fois, il y avait de cela plus de 10 ans, la liste des méfaits qu'on lui attribuait s'était considérablement allongée. Le Thalmor avait au moins le mérite d'être un organisme pour le moins patient et persistant, étant donné le nombre de fois où le Fusozayiit leur avait fait le faux espoir de disparaître pour de bon.
Refus de collaborer, disait l'affiche ? En effet, puisqu'il était le « Fusozayiit », le « Libre penseur », il était inconcevable qu'il se plie à la loi du Domaine, tout comme à celle de quiconque d'autre. Tel était le paradoxe. Il faisait parti de la Plume Aldmeri, mais ne respectait pas le Domaine, de même, il faisait parti de la Guilde des Mages, et avait déjà à de nombreuses reprises enfreint leurs préceptes, y comprit concernant les événements récents. Tout était question d'ambition et de profit, quoi qu'en disent les idéalistes. Il était un être susceptible d'être utile, donc ils le gardaient sous la patte. Telle était la véritable règle du jeu.
Insulte à agent ? Sans doute, mais qui n'avait-il pas déjà insulté, que ce soit pensé ou non ? Il était si agréable de voir les visages de tous ces gens auxquels l'honneur et l'image importait tant, soudain rabaissés à moins que rien. Bien des fois, il avait pu voir que blesser l'orgueil de quelqu'un pouvait avoir bien plus d'effet que n'importe quelle blessure physique, et se riait de cela, tout en se demandant quand viendrait son heure d'être mortellement touché.
Délit de fuite ? Il avait fui toute sa vie, quoi qu'il en dise. D'abord les siens, et la vie facile qui lui avait été promise, puis toutes celles qui avaient été susceptibles d'apporter un peu de stabilité à son existance. Sleya, Mel'arhi, Rayven... Toutes mortes, sans doute, à l'heure qu'il était. Il avait également fui toutes les échappatoires qui lui avait été offertes. La Guilde des Mages aurait pu l'aider à se racheter, et sans doute que la Plume tenterait de le faire, à terme. Mais Mys'thar n'était pas la voie la plus rapide pour sortir du labyrinthe, avait-il appris, mais la plus avantageuse et lucrative. Quelle meilleure manière de suivre Mys'thar qu'en fouillant le labyrinthe de fond en comble ?
Vol, avec préméditation, occupation de propriété de manière illégale, et vandalisme ? Sans doute n'était-il qu'un nuisible, une nuisance qui s'accrochait aux gens en finissant forcément par voler ou détruire ce qui comptait pour elles. Il n'avait même pas besoin de s'en cacher, car le plus étrange était que excessivement rares étaient ceux qui s'en rendaient compte. Son seul intérêt personnel avait fini par devenir son objectif, son seul objectif. Parfois, il faisait équipe avec d'autres personnes, peut être pour se convaincre qu'il lui restait un petit peu d'empathie. Mais cela ne durait jamais, car dès lors, c'était ces personnes là qui finissaient par devenir distantes, par changer. Même Vent de Chêne, la bosmer perdue et errante qu'il avait rencontré à Prime-tenure, avait fini par changer, par se trouver un idéal, et devenir similaire à tous ces fous. Comme le fou qu'il était, lorsque sur son affiche, la seule chose qui apparaissait était « Trafic de substances illégales ».
Lien avec des cultes daedriques et usage de magie interdite ?! Quand comprendraient-ils que cela ne faisait aucune différence ? Les dieux, quels qu'ils soient, ont besoin de disciples pour être et devenir ! Pour s'assurer l'aval des âmes mortelles, ils sont prêts à léguer tous leurs pouvoirs chèrement gagnés, suffisamment en tout cas, pour qu'il trouve un jour le moyen de faire sans eux. Tous ne naissaient pas aussi puissants que Vanus Galérion, ni n'avait la chance de tomber sur des artefacts dwemers fonctionnant à l'aide de l'essence divine, comme les Tribuns. On pouvait faire sans, mais cela demanderait du temps, beaucoup, énormément de temps.
Blessure volontaire ? Homicide volontaire ? Homicide avec préméditation ?! Bien sûr que ses homicides étaient prémédités ! Fusozay Var Dar ! Tue sans scrupules ! N'est-ce pas là la vocation de tous les mortels ? Tuer jusqu'à être tué ? S'il n'était pas assez talentueux, son tour viendrait, comme celui de tous ceux qu'il avait tué de ses propres griffes. D'ici là, tous ceux qui se mettraient en travers de sa route mourront, ou bien il en emportera autant qu'il pourra avec lui. Il n'avait plus d'autres choix, de toute manière. Il était déjà allé trop loin pour faire machine arrière.
Il se l'affirma une fois de plus tandis que, telle une ombre, il se faufilait dans les rues sombres d'une Havre endormie, avançant à pas feutrés jusqu'à l'auberge où logeaient les justiciars du Thalmor de passage. La maison-arbre bosmer semblait endormie, les derniers fêtards ayant quitté les lieux plus tôt pour éviter des remontrances des autorités. Il fut facile pour le khajiit silencieux de s'infiltrer dans les lieux, dont les seules portes s'avéraient être des draps de tissu ou de cuir mis en travers des ouvertures. Dans l'immense salle commune, il ne fut pas non plus compliqué de trouver le coin isolé par des tentures dans lequel dormait l'aubergiste.
A force de traîner en ville plutôt que de se tourner les pattes à l'auberge de la Plume, ou de crapahuter en Cyrodiil avec Eiffy, le khajiit en avait appris pas mal. Notamment sur la haine farouche que portait la patronne de l'établissement d'accueil le plus prestigieux de la ville au Domaine depuis que son fils était mort au combat. Eiffy avait au moins raison sur ce point, la Guerre des Alliances était un conflit stupide, au moins autant que tous les autres conflits qui secouaient le Mundus depuis sa création. Qui s'étonnerait, dans le voisinage, qu'une mère endeuillée s'en prenne à ce qui ressemblait le plus aux responsables du décès de la chair de sa chair ?
Peu après, le khajiit était déjà sur le chemin du retour vers les bois où Eiffy et lui s'étaient installé pour camper, et où au moins Elberoth, Taaj et Tinuvaire pourraient affirmer qu'ils se trouvaient, si jamais quelqu'un s'interrogeait sur leur compte. Le lendemain matin, l'un des membres de la troupe de justiciars fut retrouvé mort, baignant dans son sang, avec sa meurtrière encore à ses côtés. Prise de frénésie, il fut déterminé que la mère bosmer désormais amorphe avait, sur le coup de la rancœur, avait étranglé l'altmer durant son sommeil, avant d'entreprendre de dévorer son corps.
L'affaire fit beaucoup de bruit, à Havre et aux alentours, et l'histoire des affiches concernant Eiffy et Cley'am ( dont le nom était à présent connu ), ne firent pas grand bruit, en ville. Dès la journée du 11 de Plantaisons, suite à cette sinistre affaire, les justiciars quittèrent la ville, emportant la meurtrière vers Fâneracine afin de la juger.