[Histoire] La danse de l'exil
Chapitre 1 : Au gré de la routeLes semaines avaient passé, et on approchait de la fin du mois de Mi-l'An, en Elsweyr, tandis que dans le ciel, le destrier allait laisser place à l'apprenti. Il faisait plus chaud que jamais, quand bien même la marche de la Camarde était une région proche de Val-Boisé et Cyrodiil, plus tempérées. On était au plein cœur de l'été, et l'Oeil-de-Chat brillait de mille feux, gouvernant le ciel diurne d'une patte de maître et sans partage. Cela rendait l'air sec et aussi brûlant qu'une fournaise, dans des proportions presque insoutenables pour les personnes non habituées aux conditions extrêmes de la région. Dans ces vastes prairies aux allures de savane, on avait tôt fait d'attraper une insolation, à moins de se montrer assez judicieux pour se couvrir la tête et boire régulièrement, ou mieux encore, rester à l'ombre pour faire la sieste.
Pour ceux qui n'avait pas cette chance, tels que les voyageurs, il fallait supporter le poids écrasant des températures estivales du mieux que l'on pouvait, sur les longues routes traversant la région. Cette partie de la Confédération d'Elsweyr avait toujours été propice aux échanges, en raison de sa position avantageuse vis-à-vis des pays voisins, aussi les caravanes de marchandises et les groupes de négociants en déplacement n'y étaient pas rares. De même, le nombre de brigands était considérable, et il n'était pas rare de se faire rançonner et détrousser, lorsque les troupes du Thalmor ou les milices locales ne faisaient pas régner l'ordre. La chose ne se produisait plus guère, ces derniers temps, peut-être parce que l'on croisait bon nombre de justiciars en patrouille dans la région, plus qu'à l'accoutumé, qui mettait un terme à ces activités illégales.
Un khajiit au pelage gris tigré de blanc et de noir, paresseusement assis à l'avant d'un chariot tiré par deux cheveux dont il tenait les rênes, n'était pas inconnu à un tel engouement de la part de la police du Domaine. Il était en effet depuis plus de trois semaines la tête à abattre, à Dune, autour duquel grandissait une sorte de légende totalement exagérée concernant ses exploits face au Thalmor. Le flamboyant voleur et trafiquant connu sous le pseudonyme du « Fusozayiit », a qui on attribuait des vols époustouflants et des échappées rocambolesques, avait commencé à se voir idolâtré dans les tavernes et dans les groupes de malfrats de la région. Comme souvent, la rumeur n'avait rien à voir avec la réalité, et si le jeune chat à qui toutes ces histoires étaient associé avait seulement conscience de tous les exploits qui lui étaient attribués, il serait sans doute mort suffoqué à force d'avoir trop rit.
Cley'am, ou « Fusozayiit Cley'am », comme il semblait être voué à se voir appeler, n'avait rien d'une légende, et encore moins d'une figure de contestation de l’oppression du Thalmor, ou quoi que ce soit du même acabit. On aura sans doute même rarement vu un homme-chat d'Elsweyr répondant aussi bien aux stéréotypes circulant sur cette espèce. La plupart du temps jovial et paresseux, il semble que si on lui en donnait le choix, il passerait sa vie vautré dans un coussin à manger des sucreries et à boire de l'alcool, tout en se riant de l'austérité d'autrui. Derrière ces dehors emplis de sympathie, il pouvait pourtant se montrer d'une fourberie déconcertante, et était un prodigieux menteur, dont on aurait presque pu croire qu'il était directement inspiré par ses dieux sournois, tels qu'Azurah, Baan Dar ou Rahjin.
Car en effet, ce conducteur de charrette passablement somnolant était également un fervent croyant, pour lequel il n'y avait aucun doute à avoir quant au bien fondé du panthéon khajiiti, qui s'inscrivait dans la philosophie du ta'agra et du ja-Kha'jay, qui structuraient eux-même toute son existence. Par exemple, il ne portait jamais ses cheveux longs, depuis qu'au milieu de son adolescence, il avait coupé sa crinière pour l'offrir en offrande à sa Mère de Clan favorite, qui lui avait tout enseigné. C'était une pratique habituellement réservée aux offrandes pour le Mane, le symbole spirituel le plus capital de tout Elsweyr, mais cela montrait assez bien la détermination du félin à être le meilleur chat possible, le temps que durerait son existence sur Nirni.
Par bon chat, on n'entend évidemment rien de semblable à ce que les mers ou les humains ont cru comprendre de la morale ou de l'honneur. Comme l'avait parfaitement illustré ses récentes déboires à Dune, il n'avait aucun souci avec l'idée de la fuite et des coups bas, et il n'était pas atteint de la même sobriété d'existence que les individus des autres espèces. Ces mêmes déboires qui étaient d'ailleurs la cause de sa présence sur ce chariot, où l'avait conduit un heureux coup du sort dans sa fuite vers le nord ouest. Car il ne s'agissait pas là de son moyen de locomotion, ou encore de sa marchandise, mais bien de ceux de Mel'arhi, qui pour sa part dormait bel et bien à l'arrière du chariot, dont le toit de toile la protégeait quelque peu de l'étouffante après-midi et de son soleil de plomb.
Il l'enviait légèrement, car il avait bien envie lui-même de faire une sieste, d'autant plus qu'ils avaient mangé plus que de raison, ce jour-là, pour fêter leur arrivée prochaine à la frontière de Val-Boisé. Après quelques jours d'arrêt à Arenthia, et suite à tant de temps partagé sur les chemins, ils avaient commencé à lier une amitié solide, de celles que les bons khajiits fidèles au mode de vie du ta'agra sont capables de lier, lorsqu'ils n'ont pas été pervertis par les vices de l'or et de l'orgueil, introduits en Elsweyr par les elfes et les hommes. Quand bien même, ils avaient à peu près les mêmes goûts et la même sensibilité, ce qui avait largement favorisé leur rapprochement, et avait rendu le trajet bien plus agréable qu'il ne l'aurait pour chacun d'eux, en voyageant en solitaire.
Il n'avait pas fallu longtemps à Cley'am pour lui faire suffisamment confiance pour lui révéler les problèmes qu'il avait rencontre à Dune, où sa malchance et ses choix malencontreux lui avait mis le Domaine à dos. Consciente de son bon fond, et ayant pu juger de ses manières de bon khajiit, Mel'arhi avait accepté de le garder avec elle, et l'avait aidé à faire profil bas, notamment lors de leur passage par les villes et hameaux frontaliers. C'était une bonne chose pour lui, qui depuis qu'il s'était fait blesser, avait une cicatrice pour le moins repérable lui zébrant le museau. Bien que cette dernière était à présent cicatrisée , et ne lui faisait plus mal, sa profondeur était telle qu'en l'inspectant de plus près, la femme-chat lui avait assuré qu'il en garderait la trace à vie.
C'était d'ailleurs à cette occasion qu'il avait lui-même appris à connaître plus en détails Mel'arhi qui, en vertu du Je'm'ath, lui donnait sa confiance en échange de la sienne. Elle était en réalité une Fille d'Azurah, titre accordé aux prêtresses de la déesse créatrice des khajiits. Elle aurait pu aspirer à devenir une Mère de Clan, si elle n'avait pas vécu au cœur de Torval durant la majorité de sa vie de ja'khajiit, puis dans une Fasiiri'ja-kha'jay dédiée à la maîtresse de l'aube et du crépuscule. Plutôt que de rester au temple des deux lunes toute sa vie, elle s'était faite voyageuse, vendant ses capacités de guérisseuse en échange d'argent, tout en réalisant des transports de marchandise pour ses proches marchands, comme c'était le cas dans le présent instant. Elle réalisait fréquemment des voyages jusqu'en Val-Boisé et en Cyrodiil, mais depuis la dizaine d'années qu'elle était sur les routes, elle avait visité la plupart des provinces du continent.
Elle aimait lui parler de toutes les péripéties cocasses qui avaient pu survenir au cours de sa vie de voyage, et il ne manquait pas lui-même de plaisanteries et autres anecdotes amusantes, afin d'égayer la traversée des zones parfois assez ennuyeuses de la région. Il l'enviait néanmoins pour son passé si riche en souvenirs, et depuis qu'il se savait obligé de se faire oublier, il s'était décidé à suivre son exemple et à voir le monde. Il n'avait après tout rien qui puisse le retenir en Elsweyr pour le moment, et l'intégralité de ses possessions se trouvaient sur lui. Il s'était d'ailleurs acheté un nouveau « budi » à Arenthia, d'une belle couleur d'émeraude surmonté d'un capuchon turquoise, pour remplacer les loques qui restaient de l'ancien. A ses côtés, il ne gardait plus qu'un fin coutelas, plus pratique que le sabre qu'il avait attrapé à la va-vite en fuyant.
De toute manière, il n'avait pas grand chose d'un guerrier, bien que ce soit paradoxal, étant donné sa carrure et sa force. Il savait pertinemment qu'il n'avait pas la technique nécessaire à vaincre un adversaire en duel, aussi s'était-il résolu à frapper le premier, et dans le dos, de préférence, pour éviter toute déconvenues. Il aurait été dommage d'ajouter quelques cicatrices de plus à son visage, qui auraient banalisé l'aspect « dangereux » que lui donnait la sienne. Il plaisantait bien sûr à ce propos avec Mel'arhi, qui s'évertuait à lui rétorquer que cela lui donner un air bête et asymétrique, et que cela accentuait son « air vicieux ». C'était affectueux, aussi ne s'en formalisait-il pas, bien que quoi qu'il arrive, il aurait sans doute accueillit la remarque avec un simple sourire malicieux.
En vérité, il ne comptait plus temps sur sa force ou son physique que sur son intellect, s'étant découvert un certain talent pour les plans désespérés de dernière minute et les pirouettes improvisées pour se sortir des pires situations. Bien sûr, son allure engageante aidait, tout comme sa stature, à mieux faire passer ses stratagèmes, puisque peu de gens le prenaient réellement au sérieux ou le croyait capable d'émettre une réelle réflexion. C'est ainsi qu'à Arenthia, sans en dire mot à Mel'arhi, il avait arnaqué quelques buveurs en les montant les uns contre les autres tout en leur dérobant les bourses dont ils attribuaient le larcin à leur autre voisin. Inspiré par Baan Dar, il avait également passé quelques nuits auprès d'une courtisane qu'il avait séduit, à laquelle il subtilisa de précieux bijoux durant son sommeil, faisant passer le vol pour un cambriolage qu'il avait tenté de stopper, après s'être lui-même infligé quelques coups bien sentis pour faire passer le subterfuge.
De jour en jour, il se sentait davantage inspiré par la roublardise de Rahjin, tout en sentant son esprit s'ouvrir à la sagacité dont pouvait faire preuve Magrus. Il faisait part de cette sensation d'osmose avec les divinités à la colporteuse, de temps à autre, s'interrogeant sur l'évolution de ses perceptions. Il essaya à de nombreuses reprises de lui donner à voir ses sensations, lui qui se sentait comme un ja'khajiit qui venait d'ouvrir les yeux pour la première fois après un début d'existence passé dans la Grande Nuit. Elle lui avoua ne pas être sur de bien savoir ce qui lui arrivait, mais lui promit d'étudier la question et de demander conseil à Azurah, ce qu'elle fit pendant plusieurs semaines. Tandis qu'ils approchaient de plus en plus des terres bosmers, elle ne semblait toujours pas avoir progressé dans ses méditations à ce sujet.
Depuis quelques temps, ils partageaient également la même couche, durant leurs nuits dans la nature. Il aurait été naïf de dire qu'il ne s'agissait là que d'une manière de lutter contre le froid mordant des nuits passées dans les plaines, qui contrastait avec tant de force avec la chaleur du jour. Ils étaient tous les deux des adultes, aux yeux de la culture khajiiti, et comme beaucoup des leurs, avaient un certain penchant pour l'hédonisme décomplexé. Ils n'avaient ainsi guère de sentiments l'un envers l'autre au-delà de la simple amitié, et s’accommodaient tout à fait de cette situation purement pragmatique consistant à se faire mutuellement plaisir. Les kilomètres continuèrent de défiler pendant des jours, au fil des repas à base de sucrelune, de discutions animées et de nuits mouvementées, conférant à Cley'am une période heureuse dans son existence, bien plus agréable dans un sens que l'isolement dans la cave de Sleya, tout aussi enrichissant que cela avait été.
Ainsi, tandis que Mel'arhi faisait la sieste et que lui-même, il dormait à moitié tandis que son subconscient maintenait les bêtes sur le tracé de la route, il vit au loin des silhouettes noires pointer, à au moins un bon kilomètre, venant dans le sens opposé. L'instinct de survie reprenant le dessus, le chat eut un sursaut d'angoisse, ses oreilles se dressant bien droites sur sa tête, son pelage frémissant d'appréhension. Dans la Marche de la Camarde, ces temps-ci, croiser des individus en noir n'avait pas énormément de significations différentes possibles, et il n'avait guère envie d'être là lorsqu'il s'agirait de vérifier cette théorie. Tenant toujours les commandes du véhicule d'une patte, il se tordit pour rabattre le drap couvrant l'intérieur du chariot, et lâcha un bref miaulement, pour attirer l'attention de la dormeuse, en plus de la réveiller. Sans doute gênée par la chaleur démesurée de cet après-midi caniculaire, celle-ci dormait d'un sommeil léger, et se redressa d'un bon, puis vint le rejoindre en quelques gestes gracieux, sur le banc du conducteur.
« - Qu'y a-t-il, Cley'am ? L'interrogea-t-elle, la voix pâteuse, Il est déjà temps de s'arrêter ? »
Niant sa question d'un signe de tête, il leva un doigt dans la direction des autres voyageurs, qui faisaient route dans leur direction. Loin d'être dépourvue de bon sens, elle vit tout de suite où il voulait en venir, et pourquoi il l'avait réveillé.
« - Je ne peux pas rester là, s'exclama le chat, s'ils me voient avec toi, nous sommes faits comme un guar entre les pattes d'un tigre. »
Elle plissa les yeux un instant, réfléchissant à la situation. Ils n'avaient plus guère davantage de temps pour agir, avant de devenir distinguable des nouveaux venus, qui pourraient alors les compter. Observant la région, heureusement couverte d'herbes hautes, elle lui lança :
« - Saute dans les fourrés et suis le chariot. S'ils m'arrêtent pour un contrôle, je me comporterai comme à mon habitude, et il n'y aura pas de problème. Reste juste dans le sparages... au cas où... »
Il hocha la tête, voyant parfaitement ce que ces derniers propos voulaient dire. Par les temps qui courraient, il était toujours plus rassurant de savoir que l'on avait quelqu'un pour assurer ses arrières. Passant sa patte sur l'épaule plus gracile de sa consoeur, il murmura en langue khajiit :
« - Que Baan Dar fasse se rejoindre nos chemins au plus vite. »
« - Qu'il en soit ainsi », conclut-elle.
Sans davantage de cérémonie, Cley'am s'en remit à l'impétuosité des siens et, avec une vivacité impressionnante, saisit ses quelques effets personnels avant de se jeter dans la broussaille. S'en remettant dès lors à ses instincts naturels, il commença à cheminer avec la plus parfaite discrétion, profitant de sa vue perçante pour continuer à inspecter la manière dont se portait Mel'arhi, tout en restant hors de vue. Durant une dizaine de minutes, il continua de suivre en parallèle le même trajet, se fiant à son ouïe pour surveiller l'approche des individus en noir. Il s'avéra vite qu'il s'agissait d'un groupe supporté par deux chevaux, ne supportant sans doute qu'un voyageur chacun, en raison du rythme rapide de leurs sabots sur les pavés taillés. Il continua d'observer avec attention la manière dont les choses se déroulaient, toujours à couvert, s'attendant à voir apparaître les justiciars près de la charrette d'un instant à l'autre.
En lieu et place de cela, un éclat de voix retentit :
« - Lève les pattes, le minet, et tout se passera bien. »
Haussant un sourcil, il chercha un meilleur coin, d'où il pourrait voir ce dont il retournait. Une fois cela fait, il put constater qu'il n'y avait là nulle trace de la police politique du Domaine, mais uniquement deux roublards, qui s'approchaient à pied de la caravane à l'arrêt, après être descendus de cheval et avoir dégainé gourdins et matraques. D'après leurs stature, il s'agissait indéniablement d'humains. Il était à présent suffisamment instruit pour déterminer qu'il s'agissait d'un colovien et d'un bréton, ou d'un crevassais fort éloigné de chez lui, d'après leurs tenues respectives. Les deux brigands semblaient bien déterminés à détrousser Mel'arhi et, d'après leur trogne goguenarde, ne prévoyaient pas de s'en arrêter là. Observant un instant la situation, il commença à les contourner, afin de ne pas effrayer les chevaux, et de pouvoir au moins en égorger un avant que les vrais hostilités commencent.
Malgré les invectives et les insultes qui commençaient à pleuvoir à son égard, la Fille d'Azurah restait stoïque, daignant à peine regarder les deux compères avec une moue dédaigneuse. Cela sembla d'ailleurs beaucoup amuser ces derniers, qui virent dans le sang-froid de la khajiit une soi-disant preuve de ses lacunes intellectuelles de betmer. Les laissant tout autant qu'elle profitait de leur victoire illusoire, il continua de se faufiler vers eux en douceur, centimètre par centimètre, aussi silencieux que l'un des esprits du désert lorsque le vent venait à tomber. Dans l'intervalle, ils obligèrent Mel'arhi à descendre du chariot, et l'un d'eux alla rapidement inspecter la marchandise, criant de joie avec son camarade en découvrant les alcools spéciaux prévus pour les elfes des bois.
Tandis qu'ils commençaient tous les deux à se s'intéresser d'un peu trop près à la femme-chat, le fusozayiit vint quant à lui à bout des derniers mètres qui le séparait d'eux. L'un des deux commençait à vouloir empoigner la voyageuse en la traitant des pires insanités, provoquant l'hilarité du colovien, légèrement en retrait. Tirant sa dague et saisissant ce dernier par la bouche, il lui susurra à l'oreille en langue commune :
« - Que l'humain salue Namiira pour le khajiit, mrrr ! »
Puis il lui trancha la gorge d'un geste sec, provoquant un glapissement chez le condamné, qui attira l'attention de son collègue. Celui-ci se retourna et, fou de rage d'avoir vu son compagnon se faire assassiner, balança une nouvelle flopée d'insulte en levant son gourdin, cherchant visiblement à fracasser le crâne de Cley'am, ce qu'il était plutôt bien parti pour faire, étant donné sa rage naissante. Sentant sa gorge se nouer, l'homme-chat s'interrogea un instant sur le bien-fondé de ce qu'il venait de faire, lorsqu'il sentit un frisson lui parcourir le corps, comme si celui-ci entrait en résonance avec quelque chose d'inconnu. Cela termina de le figer de surprise, car ce n'était pas la première fois qu'une telle sensation l'emplissait. C'était déjà arrivé dans les égouts de Dune, juste avant que...
Un éclair de lumière aussi éblouissante que l'aurore perfora le thorax du bandit qui, sans comprendre, se retrouva percé de part en part par le javelot lumineux. Sans que cela n'ait provoqué la moindre effusion de sang, il chancela puis s'effondra en proférant un râle douloureux, tandis que dans son sillage, la fumée causée par sa chair calcinée traçait un arc de cercle, comme si son ombre avait rechignait à le suivre dans sa chute. Interloqué, le chat cligna des yeux à plusieurs reprises, et frémit des moustaches, tout en regardant Mel'arhi qui, dans le dos du défunt, avait prié Azurah et fait appel à ses dons pour déchaîner ce sort ravageur. Il se rendit compte qu'en matière de secrets bien gardés, il avait encore beaucoup à faire pour atteindre le niveau de la colporteuse, lorsque celle-ci lui adressa un clin d’œil amusé.
Chapitre 2 : L'horizon des promessesCley'am termina de tirer le cadavre du second bandit dans les broussailles dont il avait émergé quelques temps plus tôt, le souffle court et le sang lui battant les tempes, en se faisant remarquer que les humains étaient décidément sacrément lourds. Il vérifia que leur présence n'était guère trop visible sur le bas côté de la route, mais ne s'encombra guère trop des détails, puisqu'il les avait de toute manière abandonnés aux charognards, ne voyant pas l'intérêt de leur accorder une quelconque sépulture, après les circonstances dans lesquelles ils s'étaient rencontré. Il se dit qu'il n'aurait vraiment pas voulu se retrouver à leur place, à l'heure actuelle, puisqu'ils devaient déjà être en train de danser à l'ombre du Cœur de Lorkhan, dans les profondeurs de la Grande Nuit de Namiira. Il se demanda soudain si les non-khajiits pouvaient également devenir des dro-m'Athra, ces esprits des mauvais chats qui revenaient parfois hanter les vivants, et se promit de réfléchir à la question plus tard.
Il remonta ensuite jusqu'aux pavés poussiéreux et usés par les passages, sur lesquels était toujours arrêté la caravane, et alla rejoindre Mel'arhi, sur le siège du conducteur, où elle tenait les rênes des chevaux. Lorsqu'il fut en place, elle fit avancer les animaux, mettant en branle le chariot. Le chat se désaltéra dans la gourde d'alcool de sucre qu'ils conservaient toujours non loin, puis tâcha de réfléchir aux événements qui venaient de survenir, tout en essayant de chasser l'odeur de la chair brûlée. De par son odorat délicat, il se demanda même s'il parviendrait jamais à en oublier le souvenir un jour. Reniflant à plusieurs reprises, il reprit une gorgée, puis son regard se perdit dans la contemplation des plaines constituant le seul décor de leur voyage depuis quelques temps.
En réalité, il était assez troublé par les événements qui venaient de se dérouler. Ce troisième meurtre à son actif, de même que la révélation des pouvoirs de Mel'arhi, n'en étaient pourtant pas la cause. Après tout, une fois encore, il s'était tout simplement défendu en tuant cet humain, tout comme avec le justiciar et cet autre brigand, avant son arrivée à Dune, près d'un an plus tôt. De même, étant donné le fait qu'elle soit une Fille d'Azurah, il n'était guère trop surprenant que la colporteuse soit dotée de certaines capacités magiques propres à la déesse de l'aube et du crépuscule. En réalité, ce qui le gênait vraiment était d'une toute autre nature, et était suffisamment complexe pour qu'il ait lui-même la possibilité de raisonner de manière précise à ce propos. Ce malaise dans son esprit se traduisait de manière visible, puisqu'il ne parvenait guère plus à accomplir correctement la Danse des Deux Lunes, sa queue s'agitant d'une manière chaotique, qui n'échappa à sa camarade de voyage. Si un humain n'aurait rien remarqué de suspect dans son comportement, Mel'arhi, quant à elle, su qu'il valait mieux le laisser à ses réflexions, aussi cheminèrent-ils ainsi le restant de la journée sans que plus de quelques mots soient échangés.
Durant ce laps de temps, ce qui occupa sérieusement l'esprit de l'homme-chat, ce fut de déterminer pour quelle raison il avait été en mesure de ressentir le sort utilisé par la khajiit, d'une manière tout à fait similaire à la fois où, dans les égouts, il avait réussi à éviter une boule de feu de peu, en la ressentant avant qu'elle ne le touche. Il ne s’agissait nullement ici d'une quelconque forme de prémonition, puisque les sortilèges étaient d'ors et déjà en action, lorsqu'il pouvait en saisir la présence. De plus, il n'avait pas de réelle ressenti physique ou mental, ce qui était extrêmement troublant, mais plutôt une vibration de son être, comme si ces manifestations créaient un écho, ou plutôt une onde, dans une couche de son être dont il ignorait jusqu'alors l'existence. Inutile de dire qu'en plus d'être indescriptible de manière précise, cette sensation avait de quoi l'effrayer un peu.
Ils échangèrent bien peu de paroles supplémentaires, ce soir-là, et dormir chacun de leur côté, afin de réfléchir davantage aux répercutions de cette journée sur les événements à venir. Cley'am eut le sommeil agité, et peuplé de rêves incompréhensibles prenant le relais de ses réflexions perturbantes, tandis que la femme-chat dormit comme une pierre, afin de récupérer de l'utilisation de son sortilège, qui avait puisé une grande partie de ses faibles réserves de magicka. Il fallut attendre le lendemain, pour qu'ils aient une sérieuse discussion à propos de l'épisode de la veille, tandis que Cley'am préparait le repas du midi et que Mel'arhi pansait les chevaux. Le vagabond expliqua alors du mieux qu'il le put à la prêtresse ce qui lui occupait tant l'esprit, ce qui eut le don de doublement étonner la khajiit.
En effet, elle s'était attendue à ce que le jeune chat lui explique quelque chose comme ses remords vis-à-vis de la mort de l'humain, ou quelque chose du même acabit, et non pas à ce qu'il lui parle de sa prise conscience de la présence de la magicka en son sein, puisqu'il s'agissait là de ce qui lui arrivait, bien que cela la surprenne également. Cette révélation eut de quoi les garder une nouvelle fois fort peu bavards durant la seconde partie de la journée, durant laquelle Cley'am se questionna fortement sur la signification d'une telle nouvelle. Mel'arhi, quant à elle, avait toujours pensé qu'il n'était qu'un voleur maladroit s'en étant pris aux mauvaises personnes, qui était à présent obligé de fuir l'autorité des elfes. La réalité qui commençait à se dessiner lui laisser envisager qu'il pouvait avoir commis bien plus que de simples vols, et bien qu'elle lui fasse suffisamment confiance pour ne pas craindre pour elle-même, sa curiosité était mise à rude épreuve.
Il était tout aussi étonnant que personne n'ait jamais descellé le potentiel du chat, puisqu'on pouvait sentir les prédispositions des jeunes gens à la magie assez tôt, ce qui était habituellement le rôle des prêtres des lunes, dans les Fasiiri'ja-kha'jay. Ces temples des deux lunes que l'on pouvait trouver dans n'importe quel village d'Elsweyr, et dont la taille variait selon l'importance de ce dernier, servaient de lieu de culte, mais également d'apprentissage pour les ja'khajiits, en association avec les Mères des Clans. Le vieux suthay faisant office de prêtre, dans le petit village de Cley'am, n'avait sans doute plus les capacités nécessaires pour user des sortilèges de détection de la magie dont venait de faire usage Mel'arhi, et c'était sans doute la raison pour laquelle cet étrange matou n'avait pas reçu une éducation de prêtre, quitte à se lancer dans une carrière de mage plus conventionnelle aux yeux des autres races de Tamriel, par la suite.
Il fallut encore quelques jours au « Fusozayiit » pour totalement digérer la nouvelle, période durant laquelle ils finirent de traverser cette partie peu habitée d'Elsweyr, et arrivèrent en vue de la frontière. Un jour, au cours de la matinée, une ligne sombre commença à se dessiner sur la ligne d'horizon, qui n'était autre que le feuillage des arbres les plus imposants, visibles à plusieurs kilomètres, lui expliqua la colporteuse. Ayant mûrement réfléchit à la question de sa capacité potentielle à utiliser la magie, Cley'am en avait déduit qu'il s'agissait là d'un don que lui avaient offert les dieux, puisque pour les hommes-chats, la magie était quasiment indissociable de la religion. Comme un peu partout ailleurs en Tamriel, Magrus, le dieu solaire, avait une part importante en ce qui concernait l'existence de la magie, selon le ta'agra. Mais la principale déité en laquelle se remettaient les mages khajiits était Azurah, la déesse principale de leur peuple, ce qui donnait des allures de dons aux sortilèges utilisés par les sorciers.
Il estima dès lors qu'il était tout autant de son devoir qu'à son avantage de devenir un lanceur de sorts, à plus forte raison maintenant qu'il n'était plus qu'un exilé pourchassé par le Thalmor.
Après quelques journées à l’atmosphère lourde, un orage avait finalement éclaté la veille, accordant à la région l'une de ses rares périodes de pluie violente, bénéfique pour la faune et la flore locale. Bien qu'ils passèrent une nuit difficile, dans la tourmente des intempéries, ils furent heureux de trouver au matin un ciel ensoleillé comme jamais, annonçant une journée bien plus respirable, bien que toujours très chaude. Aussi, lorsque à l'heure du repas de la mi-journée, ils s'arrêtèrent au pied d'un arbre fort généreux en fruits, ils décidèrent de s'accorder le reste de la journée en repos. Ils atteindraient certainement les terres elfiques dès le lendemain, et il leur avait paru logique de profiter une dernière fois avant longtemps, de tout ce qu'Elsweyr pouvait offrir. Ils se firent un festin de leur viande séchée, des fruits sucrés tombés de l'arbre proche, et des pâtisseries faites par Cley'am quelques temps plus tôt, puis s'assirent à l'ombre, tout en profitant des rayons du soleil filtrant parfois entre le feuillage.
Soudain, s'en tenant à la résolution qu'il avait pris précédemment, le Fusozayiit décida sur un coup de tête qu'il devait parler de magie avec Mel'arhi. Elle était la seule personne à sa connaissance à pouvoir l'aider à accomplir ses desseins, et semblait avoir un certain nombre de connaissances en la matière, un peu à la manière de Sleya. Repenser à la vieille femme lui fit se demander pendant un moment ce qu'il avait bien pu advenir de l'impériale en exil. Sans doute n'avait-elle pas eu autant de chance que lui, le Thalmor étant réputé pour le peu de douceur dont il faisait preuve vis-à-vis des contrevenants à la Loi, ou des dissidents politiques. Sans compter le fait qu'elle soit une humaine. Non, décidément, il lui fallait à tout prix apprendre la magie, pour ne jamais se retrouver dans la même situation !
De but en blanc, il lui lança :
« - Mel'arhi, apprends-moi la magie ! Tu as reçu les dons d'Azurah et Magrus, et tu as descellés ceux-ci en moi. Aide-moi à comprendre le cadeau des dieux ! »
Elle avait sans doute vu venir la question de loin, étant donné l'absence de surprise dans son regard, lorsqu'il lui eut demandé ce service de taille. Après tout, il était aussi impétueux et farouche que n'importe quel autre jeune khajiit, et aucun homme-chat, ni sans doute aucun être vivant sur Tamriel, ne souhaiterait passer à côté des occasions offertes à tout initié des arcanes de la magicka. C'est d'ailleurs sans doute car elle avait vu venir la question, que la réponse sembla sortir de sa bouche féline au moment même où Cley'am termina sa propre phrase, comme si elle attendait de pouvoir lui rétorquer les paroles suivantes depuis des jours :
« - Soit, Cley'am ! Mais ce ne sera pas sans contrepartie ! Tu devras promettre que, si tu apprends à utiliser les cadeaux divins grâce à moi, tu les utiliseras toujours dans le respect du Ta'agra, et que tu ne les retourneras jamais contre tes dieux ! Tu ne dois pas devenir comme les sans-fourrures arrogants, qui croient avoir entre leurs pattes un jouet dont ils peuvent user à leur guise ! »
Ces paroles parurent sages au Fusozayiit qui, emprunt de la religion khajiiti, ne voyait de toute manière pas comment il aurait pu envisager de se retourner contre ses créateurs, loués soient-ils. De plus, il était bien connu que "Le tempérament du corps doit supporter le tempérament de l'esprit.". On apprenait ces préceptes dans toutes les Fasiiri'ja-kha'jay, afin que les ja'khajiits sachent que l'emportement et l'orgueil étaient des armes à double-tranchant, qu'il valait mieux utiliser contre les autres espèces si imbues d'elles-mêmes, que contre soi-même. N'était-ce pas pour cela que son peuple et lui supportaient toutes ces moqueries dénuées de sens et ces réprimandes violentes, que leur adressaient les autres espèces ? Aussi, quand elle eut parlé, il acquiesça vivement, et assura sur tout le sucre offert par le Riddle'Thar qu'il se tiendrait à ces engagements.
Pourtant, elle n'avait pas fini, et enchaîna :
« - Et surtout, « Fusozayiit Cley'am », tu vas me raconter qui tu es vraiment. Telles sont mes conditions du Je'm'ath, si tu souhaites apprendre la magie par mon aide. »
Voilà une condition qui lui sembla bien plus dure à accepter, tout du moins sans mûrement y réfléchir auparavant. S'asseyant en tailleur, au pied de l'arbre fruitier, il réfléchit pendant quelques minutes à la question, refusant de commettre à nouveau une erreur en n'écoutant par les enseignements de la déesse de l'Aube, concernant la valeur du Silence. A plusieurs reprises déjà, briser le silence lui avait coûté cher, et il avait agit comme un chat à l'âme courbée, incapable de garder les secrets sacrés de son peuple. Aussi, afin de ne pas répéter l'histoire de son départ d'Ehpak'Krin, ou de son association désastreuse avec Ra'kohjah, il pesa le pour et le contre d'un tel Je'm'ath, afin de ne pas engager sa parole en vain, ou de manière inconsidérée.
Mel'arhi était de manière certaine une bonne enseignante pour lui, qui était un fuyard, et qui ne pouvait plus espérer apprendre tranquillement les voies de la magie selon la tradition khajiit, dans un temple des Deux Lunes. Elle n'était pas d'une puissance exceptionnelle, elle-même en convenait volontiers, mais elle saurait lui apprendre les bases, ce qui ouvrirait le chemin à un apprentissage plus individuel et autodidacte. Aussi, il n'avait guère à craindre quant à la contrepartie du contrat. Ceci étant dit, pouvait-il tout dire de ses origines à la colporteuse ? Bien qu'il n'ait pas particulièrement d'état d'âme quant à ses actions passées, il n'en était pas fier pour autant, et la prudence le poussait à essayer d'étouffer ce genre d'histoires, plutôt qu'à les diffuser. Ceci étant dit, il avait une certaine confiance en sa camarade de route, et doutait sérieusement qu'elle retournerait sa confiance contre lui.
« - J'ai fait mon choix, déclara-t-il de manière solennel, tout en revenant s'asseoir dans l'herbe, à côté d'elle. J'accepte le Je'm'ath. »
Mel'arhi lâcha un léger ronronnement appréciateur, consciente tout autant que lui de la marque de confiance qu'il lui manifestait en acceptant un tel compromis. Il s'agit dès lors pour l'exilé de faire le récit de ses pérégrinations précédentes, tandis que l'Oeil-de-Chat caressait leur fourrure de ses rayons, en cet après-midi agréable. Bien que le cadre fut plaisant, l'exercice fut ne laissa pas à l'homme-chat un goût agréable, puisqu'il s'agissait là de faire une sorte de liste de la succession d'erreurs qui l'avaient conduit dans la situation présente.
Il lui conta ainsi son enfance tranquille à Ehpak'Krin, dans les collines isolées de la partie orientale de la Marche de la Camarde. Il lui fit le récit de ses jeunes années, passées entre son éducation religieuse et martiale, ainsi que ses découvertes quant aux plaisirs de la vie. Cela le conduit à évoquer ses premières erreurs, et comment l'alcool lui avait fait dire ce qu'il ne fallait pas dire, l'obligeant à quitter son entourage pour ne pas souiller son honneur de vrai chat. Il ne lui épargna pas les détails de son premier meurtre, de comment il égorgea de sang froid ce pauvre homme désespéré, qui avait pensé pouvoir échanger sa misère contre la sienne, au milieu des sables. Il lui parla de sa démarche inconsidérée de se mêler aux affaires du Thalmor, qui l'avait fait connaître d'eux, d'abord en bien, pour mieux pouvoir dégénérer ensuite. Il lui raconta l'époque de la débauche à l' »Ajo-Nukoh », la taverne qui avait causé sa perte, et de son marché avec le tenancier véreux. Il s'attarda davantage sur l'épisode du vol de la cargaison de skooma, de comment il abandonna ses collègues, puis s'échappa par la volonté de Rahjin. Puis il s'essaya à décrire les mois passées en la compagnie de Sleya, caché dans une cave sombre et privé de sucrelune, pour échapper au Thalmor, l'appelant désormais le « Fusozayiit ». Enfin, il lui raconta sa nouvelle fuite, son abandon de la vieille érudite, la débandade dans les égouts, puis le meurtre sanguinaire du justiciar, changé en boucherie par l'adrénaline et la peur qui l'avaient alors empli, lui laissant sa belle cicatrice en souvenir.
Une telle histoire les tint occupé jusqu'au soir, et une partie de la soirée. A l'issue de celle-ci, Mel'arhi s'estima satisfaite de la sincérité de son nouvel élève, et lui assura qu'elle ferait dès lors tout ce qui était en son pouvoir pour en faire un mage efficace, à défaut d'un prêtre des lunes, ce qu'il ne pouvait plus devenir. Elle n'avait jamais elle-même été enseignante, mais elle savait ce qu'il fallait savoir pour maîtriser la magie, et avait un bon souvenir de comment en expliquer le cheminement à autrui, comme on l'avait fait pour elle. De plus, elle n'avait pas à traiter avec un parfait ignorant, Cley'am connaissant déjà parfaitement les dogmes à connaître dans le Ta'agra, et sachant déjà lire et écrire. Il ne s'agissait plus là que de la partie la plus tangible, en réalité,c 'est-à-dire apprendre la capacité d'appréhender la magicka en soi, puis celle d'en user de manière concrète. Il leur faudrait sans doute quelques années pour en arriver là, mais les voyages étaient long, et de toute manière, ils n'avaient guère ni l'un ni l'autre de réelles contraintes les obligeant à forcer le rythme, si ce n'était le spectre du Thalmor, qui paraissait pour l'instant bien lointain.
Certains pouvaient y voir un signe favorable, ce que firent les deux khajiits, qui comme tous les leurs, accordaient une importance considérable aux phénomènes célestes, mais ce soir-là, la constellation de l'apprenti se fit plus présente dans le ciel, tandis que commençait le mois de Hautzénith. A partir du Je'm'ath, l'ambiance redevint plus amicale entre les deux voyageurs, mais se fit également de plus en plus studieuse, puisque les longs moments de trajet s'avéraient plus qu'opportuns pour évoquer des théories concernant la magie, et servaient à s'entraîner à la canalisation de la magicka contenue dans le corps du khajiit. Les progrès furent bien évidemment très lents, comme on pouvait s'y attendre pour un parfait néophyte en la matière, mais étaient présents néanmoins, montrant par la même occasion qu'il était bel et bien emprunt d'un potentiel magique.
C'est d'ailleurs au cours de l'une de ces discussions tournant autour de la maîtrise des arcanes offertes par l'Aetherius, qu'ils atteignirent l'orée de Val-Boisé, le lendemain de la confession de Cley'am. Devant eux, une forêt épaisse s'étendait aussi loin que pouvait porter la vue perçante des deux félins, jusqu'à se perdre dans la pénombre du sous-bois. En comparaison, les plaines d'Elsweyr semblaient désertiques et dépourvues de vie, quand bien même ils savaient pertinemment l'un comme l'autre que c'était faux. Ayant depuis quelques temps retrouvé tout son optimisme, aidé comme toujours de quelques sucreries, le Fusozayiit vit dans cette transition à première vue inquiétante de par son exotisme, une réelle occasion d'enfin échapper à la vigilance du Thalmor, qui devait sûrement plus s'attendre à le voir se jeter vers Cyrodiil, où il pourrait profiter de la situation chaotique pour se faire oublier.
Quel que soit l'angle sous lequel il envisageait son avenir, à présent, tout ne semblait pouvoir le conduire que vers l'inconnu le plus complet, aussi dangereux pouvait-il être.
Jamais il n'avait ressenti un sentiment aussi grisant.
Chapitre 3 : Le joug d'émeraudeL'atmosphère se fit rapidement plus lourde, plus dense, à mesure qu'ils s'enfoncèrent dans les bois, comme si cette partie de Val-Boisé n'était qu'une énorme pièce qui n'avait été suffisamment aérée. Le feuillage des différents arbres formait un plafond végétal extrêmement épais, à travers lequel on ne voyait que rarement la lumière de l'Oeil-de-Chat, plongeant les lieux dans une sorte de semi-pénombre. De même, les troncs impressionnants qui les environnaient donnaient l'impression d'être les colonnes naturelles de cette cathédrale de verdure. N'ayant encore jamais eu l'occasion de s'intéresser à l'herboristerie, le chat aurait été bien incapable de décrire avec précision la nature de toutes ces plantes inconnues qui l'entouraient. Le moins qu'il pouvait dire, c'est que cela lui changeait singulièrement du décor plus ouvert de ces dernières semaines. En vérité, cela jurait considérablement avec tout ce qu'il avait jamais pu connaître, n'ayant jamais vu de forêts dépassant les petites oasis paisibles de sa région natale.
Il garda un sentiment de malaise durant tout le début de leur voyage, se sentant étrangement enfermé sur cette petite route irrégulière et non pavée qui s'enfonçait dans la forêt. N'ayant pas le droit de blesser leur milieu, les elfes des bois n'avaient à peine tracé qu'un sentier sinueux, qui serpentait entre les troncs de manière tout aussi irrégulière qu'il était cahoteux, de nombreuses racines venant créer des ornières contre lesquelles se heurtaient les roues du chariot. Quand bien même les khajiits n'étaient pas les plus assidus concernant les travaux d'urbanisation, Cley'am trouva un tel manque d'implication assez surprenant, même de la part des bosmers. Les rares spécimens de ce petit peuple sylvestre qu'il avait croisé à Dune étaient de petites personnes joviales, ce qui l'avait également surpris vis-à-vis des rumeurs de cannibalisme courant à leur sujet.
Étant donné que la matinée avait été passée à méditer sur lui-même, afin de s'exercer à ressentir la magicka présente dans son corps sans succès, il estima qu'il serait plus intéressant de se renseigner un peu plus sur les autochtones. Mel'arhi ayant déjà fait un bon nombre d'expéditions dans la région, elle avait sans doute appris à en connaître davantage sur le peuple d'Y'ffre, et saurait le renseigner. L'arrière-train endolori par les soubresauts du chariot, il laissa sa tête apparaître hors de la bâche qui servait de toit à l'arrière du véhicule, et attira l'attention de la colporteuse en train de mener les bêtes, d'un miaulement invectivé. Tournant son regard brièvement vers lui, la femme-chat se retourna rapidement vers la route, pour leur éviter de briser une roue dans un nid de poule, ou quelque chose du même acabit. Elle lui demanda cependant, toujours dans le langage ta'agra'iss qui était le leur :
« - Qu'y a-t-il, Cley'am ? »
« - Je me demandais, Mel'arhi, répondit-il, tout en finissant de venir s'installer à côté d'elle, qu'en est-il des elfes des bois, en définitif ? On n'en voit pas beaucoup, à Dune. »
« - Hmpf, ça pourrait être amené à changer, d 'ailleurs, rétorqua-t-elle. Avec ces histoires de Domaine en train de se mettre en place, on devrait s'attendre à voir les elfes pulluler chez nous sous peu. Mais autrement, que veux-tu dire, au juste ? »
Le Fusozayiit lissa ses moustaches blanches, fièrement dressées et semblables à celle d'un félin, puis fit un mouvement évasif de la patte.
« - Je ne sais pas... Par exemple, est-ce vrai qu'ils mangent du khajiit ? »
« - Oh, je vois ! gloussa la Fille d'Azurah. Ne t'en fais donc pas, froussard ! Si les bosmers mangeaient encore des khajiits, ils auraient autant si ce n'est plus le Thalmor sur le dos que toi, et ils ne veulent vraiment pas de ça. Ils ont déjà suffisamment de mal à conserver leurs coutumes comme ça, depuis qu'ils ont les altmers dans les pattes. »
« - Donc le Thalmor est bel et bien là également... »
Cette idée fit soupirer Cley'am. Parviendrait-il à avoir la paix, un jour ? Ou tout du moins, serait-il en mesure de vivre chaotiquement, mais sans devoir craindre les silhouettes noirs des justiciars ? Tout cela pour une malheureuse histoire de skouma précédée d'un croche-patte. S'il avait su, il serait gentiment resté à l'écart de toutes ces histoires.
« - Et pas qu'un peu, confirma sa camarade. Depuis qu'ils ont sauvé le trône de la guerre civile et de la domination des coloviens, les altmers tiennent le pays dans leur coupe. C'est à se demander s'ils ne prévoient pas de renverser l'Empire ! »
Ces dernières paroles avaient été dites sur le ton de la rigolade. Mais en son for intérieur, le chat ne pu s'empêcher de songer à nouveau aux propos de Sleya qui, au fin fond de la cave, lui avait à de maintes reprises conté l'état déplorable de Cyrodiil et de son Second Empire. En Elsweyr, ils n'avaient jamais eu quoi que ce soit d'autre que des émissaires impériaux, et quelques avant-postes au nord. Jamais la confédération n'avait été sous la coupe des humains, mais aujourd'hui, il commençait à se demander si ce n'était pas les elfes qui allaient se mettre à profiter des siens. Qu'en dirait le Mane ? Et les chefs de clans ? Il n'aurait su le deviner, à cette époque. Se recadrant sur le sujet de leur conversation, il reprit :
« - Et ces coutumes, alors ? Cela consiste en quoi, exactement ? »
« - Et bien, comme tu sais, ils sont nés d'Yffer, qui modela les enfants de Nirni d'une manière moins sage qu'Azurah l'a fait avec nous, louée soit-elle pour ses supercheries ! Mais ce que notre peuple sait moins, c'est qu'ils ont été en plus obligés de signer un contrat avec Yffer, car sans cela, ils seraient resté des hommes-bêtes sans consistance, tels que nous étions nous aussi avant qu'Azurah nous guide. C'est ce qu'on appelle le Pacte Vert. »
Comme pour doter sa dernière phrase d'un aspect théâtral, ils émergèrent soudain dans une petite clairière à l'aspect enchanteur, depuis laquelle ils purent constater que le ciel commençait à s'assombrir, à mesure que s'approchait le crépuscule. Ne souhaitant pas avoir à camper en plein milieu de la route, en pleine forêt, ils firent le choix de s'arrêter pour la nuit, et de profiter de l'heure pour pouvoir prier la déesse autant qu'ils le souhaitaient, jusqu'à ce que la nuit tombe. Grâce à la légère lueur diffusée par les lunes décroissantes, leurs yeux félins leur permirent d'y voir aussi bien qu'en plein jour, aussi s'accordèrent-ils pour ne pas allumer de feu. Il y avait plusieurs raisons à cela. Déjà, il valait mieux éviter d'attirer l'attention des habitants du coin, étant donné que les elfes étaient presque autant réputés que les khajiits pour être des voleurs. Mel'arhi lui expliqua la seconde raison :
« - Si nous souhaitons éviter les ennuis, nous n'utiliserons que les réserves de bois que nous avons constitué en Elsweyr pour faire du feu. Si un être de Val-Boisé devait apprendre que nous avions coupé et brûlé du bois d'ici, nous ne verrions pas la prochaine aube se lever. Ici, il est interdit de s'en prendre à la flore. »
D'une humeur joyeuse, depuis qu'il venait de manger un gros morceau de gâteau au sucrelune, Cley'am rétorqua, ironique :
« - Heureusement que le sucre ne pousse pas ici ! »
Ils passèrent, outre ces quelques précautions, une nuit agréable sous le regard bienveillant de Jone et Jode, et reprirent doucement la route, dès que l'aube eut lieu. Selon la prêtresse, ils avançaient bien moins vite que sur les routes dégagées d'Elsweyr, et n'étaient pas près d'arriver à Fort Thornar, le premier signe de civilisation sur lequel ils étaient sensé tomber, en suivant la route depuis Arenthia. Leur itinéraire devait, selon les connaissances géographiques de la khajiite, les conduire par la suite vers Ebon Ro, à l'ouest, puis jusqu'à Sylvenar, plus au sud. Il leur suffirait dès lors d'atteindre Falinesti, non loin de la côte, puis de suivre le littoral pour visiter d'autres des grandes villes du pays, où elle devait livrer ses marchandises. Si tout se passait bien, le trajet leur prendrait au moins quelques mois de plus, si tout se passait bien, étant donné qu'ils ne pouvaient pas espérer se mouvoir aussi rapidement dans les bois que les habitants de la région, surtout avec leur imposante charrette.
Cela pouvait paraître être un voyage extrêmement long, surtout pour deux individus qui ne faisaient pas réellement parti d'un groupe de marchands, tel que c'était le cas de Mel'arhi, autant que Cley'am. Cependant, il semblait, à voir l'exemple des nomades Baandari, que les khajiits n'étaient pas un peuple à se sentir gêné par les longs trajets. Dans le cas du vagabond, il lui semblait que tant qu'il restait loin du Thalmor, mais proche d'un bon tas de sucrelune, il pouvait aussi bien rester sur la route pour toujours, et ne la quitter que pour voir son âme emportée par Khénarthi. Il resta d'ailleurs dans cet état d'esprit durant plusieurs semaines, en l'espace desquelles ils passèrent bel et bien Fort Thronar, ainsi qu'Ebon Ro, rencontrant à cette occasion les habitants de ce pays forestier.
Comme le lui avait dit sa consœur, les elfes des bois se pliaient à des règles strictes, dont il ne comprit que les principales, parmi lesquelles une alimentation carnivore, une protection exacerbée de la nature et une consommation totale des proies. Outre cela, il fut agréablement surpris de constater que les bosmers étaient dans l'ensemble des individus joviaux, qui furent ravis de rencontrer de nouvelles têtes, bien que d'une autre espèce, et qui leur achetèrent une partie de leurs marchandises exportées de bon cœur, curieux d'essayer les produits provenant d'Elsweyr. Il était assez surprenant, en réalité, que ces elfes se refusent à toucher à leur propre forêt, mais soient si prompts à leur acheter du bois de leur pays natal, afin d'en faire des arcs, par exemple, devant sans cela se contenter des armes en os qu'ils pouvaient réaliser à partir du fruit de leur chasse.
En réalité, la colporteuse lui avoua sa propre surprise devant le succès de leurs affaires, étant donné qu'habituellement, il y avait davantage de marchands sur les routes pour leur faire concurrence. Ils firent un jour part de leurs interrogations à un aubergiste local, réputé comme étant très bien informé, grâce à toutes les rumeurs qui circulaient par son établissement, diffusées par les voyageurs de passage. Ils apprirent ainsi que Tamriel faisait fasse à un contexte troublé, cause de trouble et de peur pour beaucoup, qui n'était autre qu'une invasion akaviri, ayant lieu dans le nord du continent, en Bordeciel et en Morrowind. L'issue de la guerre étant incertaine, avec l'Empire décadent bien incapable d'aller secourir les peuples des régions septentrionales, la plupart des négociants préféraient garder leur biens pour eux, au cas où les choses tourneraient mal.
La nouvelle eut le don de les surprendre, eux qui avaient si longtemps voyagé seuls sur les petits chemins, si bien qu'ils s'étaient considérablement isolés du reste du monde. On n'avait plus entendu parler des habitants du continent d'Akavir depuis les derniers potentats, dont le dernier était mort plus de quatre siècles plus tôt, et desquels ne demeurait que quelques techniques de combats impressionnantes qu'utilisaient encore les combattants les plus puissants. La vieille impériale de Dune lui avait expliqué que, dans le temps, ces étranges guerriers venus de terres lointaines avaient failli conquérir la majeur partie de Tamriel, montés sur leurs dragons rouges redoutables, et que seule l'intervention de l'Empire avait permis d'éviter la catastrophe. Il se demandait malgré tout si l'érudite n'avait pas chercher à embellir l'histoire, puisque à ses yeux, quiconque montait des dragons ne devait guère craindre quelques humains, quand bien même ceux-ci porteraient des uniformes impeccables.
Toujours est-il qu'aux dernières nouvelles, des hécatombes avaient lieu en Bordeciel, et que le débarquement avait commencé sur la terre de cendre des elfes noirs. Cela faisait plusieurs semaines que plus aucune information fraîche était parvenue au tavernier, qui se montra assez confiant, malgré ces actualités de si mauvais augure. Mel'arhi fit quelques prières aux dieux, et après avoir fini de discuter avec le tenancier, il la rejoignit pour méditer et demander aux dieux d'écourter les conflits. Bizarrement, dès lors que la menace des akavirs commença à flotter au-dessus de leur tête, même provenant de si loin, le chat vagabond ne put s'empêcher de relativiser la crainte qu'il avait du Thalmor, se convainquant qu'ils ne pouvaient pas être pires que les « démons des glaces », nom donné à ces étrangers avides de combats.
Cela leur sortit rapidement de l'esprit, à mesure qu'ils poursuivaient leur route dans les contrées boisées du royaume elfique, au sein duquel tout semblait se ressembler, aux yeux du félin si peu habitué à des telles profusions de végétation. S'il avait vécu plus près du littoral de la Mer de Topal, dans la Confédération d'Elsweyr, il aurait bien plus à l'aise dans les régions vertes telles que Val-Boisé, puisque tout le sud d'Elsweyr, près des côtes, était envahi par de profondes jungles tropicales bordées de plantations de sucrelune. L'un de ses nombreux frères, un ohmes servant dans les Légions du Mane, qui avait durant un temps officié à Senchelle, lui avait raconté à quel point leur pays pouvait être divers et rayonnant de beauté, et lui avait enjoint à voir ne serait-ce qu'une fois l'éclat des rayons lunaire sur les eaux de la mer. Il fallait dire que la Mer de Topal, d'après la légende, était l'endroit où le Riddle'Thar avait offert le sucrelune aux chats honorant le Ja'kha-jay.
Au fur et à mesure qu'ils cheminaient en territoire mer, cependant, ils leur devint de plus en plus facile de repérer, de temps à autre, des chasseurs ou des groupes nomades d'autochtones cheminant dans les bois. Si certains ne leur prêtaient pas attention, d'autres venaient parfois à leur rencontre, et partageaient des repas ou des histoires avec eux, lorsqu'ils établissaient leur bivouac. Les bosmers s'avérèrent être des individus naturellement curieux, et extrêmement friands de contes et de légendes, quand bien même celles-ci n'étaient pas d'origine mer. Ils trouvèrent une amie en or dans la personne de la colporteuse, qui connaissait une infinité de mythes concernant des ancêtres ou les dieux des khajiits, et qui n'hésitait pas à en faire part à son auditoire attentif, dans lequel se trouvait irrémédiablement Cley'am. Il était en définitif tout aussi heureux que n'importe lequel de leurs invités de réentendre des histoires de sa jeunesse, et de rire des morales malicieuses qu'avaient souvent les récits de son peuple.
Au fil des mois, en parallèle avec sa découverte de la culture bosmer et son approfondissement de sa connaissance du ta'agra, le Fusozayiit continua de persévérer dans sa perception de la magicka. Après quelques mois de dur entraînement, il commençait enfin à pouvoir ressentir l'essence magique environnante, à condition de se concentrer suffisamment, et avait conscience de ses propres réserves de ressources spirituelles issues de l'Aetherius. Il fallait dire que l'exercice, bien que paraissant enfantin aux mages entraînés, était pour le moins ardu pour les apprentis, puisque la magicka n'avait rien à voir avec leur intégrité physique ou mentale, mais bien avec un pan à part entière de leur être, dont ils étaient jusqu'alors inconscients. C'était d'ailleurs pour cela qu'un mage se voyant à cours de magie ne pouvait pas parler de douleur physique, ou de d'un état de fatigue au sens généralement entendu. Cela s'approchait davantage d'une sorte de vertige ou de malaise, qu'on aurait bien des peines à décrire de manière compréhensible pour un non initié des arcanes magiques.
Aussi, maintenant qu'il commençait à prendre conscience de cet étrange état qui était à présent le sien, il faisait des progrès plus rapides, et sa capacité à sentir la magicka ne se limitait plus à cet instinct basique qui le prenait au moment où quelqu'un lançait un sortilège. Il lui faudrait sans doute quelques semaines, si ce n'est mois, avant de parfaitement maîtriser cette première partie de sa formation, suite à quoi il pourrait sans doute commencer à envisager de lancer ses premiers sorts lui-même, afin de commencer à maître à l'épreuve sa maîtrise toute fraîche de la magie. Fort heureusement, il s'avéra être un élève patient, et Mel'arhi se comporta en professeur fiable, si bien qu'il ne se hâta pas d'essayer ses pouvoirs, ce qui aurait pu très mal finir, comme pour la plupart des novices trop zélés en magie.
Zélé n'était clairement pas le premier adjectif qui venait à l'esprit, lorsque l'on voyait le khajiit avachi sur la banquette du conducteur, à boulotter des gâteaux au sucrelune tout en guidant les chevaux sur le petit sentier de terre. Une fois de plus, la Fille d'Azurah somnolait à l'arrière, de la même façon que quelques semaines plus tôt, lorsque le groupe avait eu affaire à feu les bandits de la périphérie d'Arenthia. Le sucre lui montait peu à peu à la tête, tandis qu'il finissait sa friandise, et il sentit de manière progressive le fourmillement familier de l'épice prendre le pas sur ses réflexions habituelles, emplissant son cerveau d'un engourdissement agréable, qui sembla glisser à travers ses muscles pour toucher tout son corps, des moustaches jusqu'aux griffes. Contrairement à d'autres espèces, cela dit, il n'y eut pas d'hallucinations ou de spasmes de plaisir à noter, et comme n'importe quel khajiit, il se contenta d'apprécier ce don fait par les dieux.
Durant un temps, il continua de voir le monde comme à travers une vitre de verre enfermant sa tête dans un espace d'euphorie. Puis les effets commencèrent à s'estomper doucement, le laissant dans un état de contentement et de bonne humeur qui ne lui faisait jamais défaut, lorsqu'il avait du sucre à portée. Il ferma à moitié les paupières, tout en profitant des éclats fugaces de l'Oeil-de-Chat sur sa fourrure grise, lorsque celui venait à apparaître entre les feuilles des arbres. Ils étaient en 2E 573, à présent, et malgré ce mois de Clairciel, il trouvait la température agréable, bien que peut être un peu trop froide vis-à-vis de ses standards d'Elsweyr. Il n'aurait plus manqué qu'un peu de sable doux dans lequel glisser ses pattes, et tout aurait été pour le mieux, dans le meilleur des mondes.
Ses rêvasseries quelque peu dénuées d'intérêt s'estompèrent soudain lorsqu'il récupéra soudain une partie de son impressionnante ouïe, ce qui l'amena à se redresser quelque peu, pour observer les bosquets qui se dressaient sur le bord de la route. Il aurait juré avoir entendu le bruissement des feuillages. Balayant les arbustes de ses yeux bleu-gris, il tenta de percer à jour l'individu qui se cachait à sa vue. Puis il les vit.
Deux grands yeux d'émeraudes, éclatant comme des pierres précieuses, qui le fixaient avec une intensité telle qu'ils devaient sans doute pouvoir lire son âme à travers son regard.
Chapitre 4 : RayvenCley'am pencha légèrement la tête sur le côté, totalement absorbé par la profondeur de ces yeux envoûtants, dont la couleur semblait avoir capturé toute la vie et la beauté de la nature alentour. Il était loin d'être le chat le plus sensible à l'art et surtout à ces peintures feignant un réalisme extrême, très prisées des altmers et des impériaux, notamment, mais aurait pu jurer que ce regard avait été taillé à l'aide de deux pierres précieuses. C'était une découverte assez étonnante, en réalité, que de se sentir grandir une sensibilité semblable, lorsqu'on a rit toute sa vie au museau de personnes plus émotives que soi. Surtout lorsque cela arrive de manière si soudaine, comme si la fortune avait décidé de lui mettre une grande claque derrière la tête, du revers de la patte. Clignant à plusieurs reprises des yeux, sa mine effarée lui donnait sans doute également un air bête, car elle provoqua un rire clair et mélodieux de la part de l'observateur.
Observatrice, en réalité, comme il put le constater en voyant sortir de la broussaille une bosmer de petite taille, même pour les siens, qui s'approcha de la caravane que le khajiit venait de stopper. Incapable de dire grand chose, toujours admiratif, le Fusozayiit nota la grâce avec laquelle l'elfe se mouvait entre les arbres, semblant pouvoir se faufiler entre les arbustes sans presque déranger ceux-ci, ne provoquant que quelques discrets bruissements tout en s'approchant d'un pas léger, comme si la pesanteur ne s'appliquait pas à elle, ce qui devait sans doute être le cas, vu sa silhouette fine. Vêtue de quelques atours de cuir, à la mode des chasseurs de Val-Boisé, l'inconnue ne semblait pas pour autant armée, n'ayant d'arc ni dans ses mains, ni accroché dans le dos. La possibilité qu'une lame puisse être dissimulée dans ses quelques habits lui parut plus qu'improbable, à moins d'être un coutelas ridiculement petit, aussi ne fit-il aucun geste particulier pour la dissuader d'approcher.
De même, il nota avec une certaine fierté que, en ce concentrant, il parvenait à la sonder et à déterminer qu'il n'y avait pas de réelle réserve de magicka en elle, ce qui n'en faisait pas une sorcière non plus. Il ne remarqua qu'ensuite ses longs cheveux noirs, encadrant de manière totalement désordonnée son visage malicieux, qu'illuminait littéralement ses yeux verts d'un éclat typiquement elfique. Par ailleurs, son nez retroussé et ses tâches de rousseur, ainsi que sa bouche fine, lui donnait l'air malicieuse et pleine de ressource, ce que semblait confirmer son air calme et confiant, signe d'une absence de crainte ou d'un excellent contrôle de soi. Sa silhouette svelte ne laissait que peu de place aux formes très féminines et, presque dépourvue de rondeurs, seule sa poitrine à peine notable et son allure gracile confirmaient son appartenance au beau sexe, en plus de son visage.
Source
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Edited by Cleyam on 16 avril 2014 7:16