Chapitre 1 : Ehpak Krin
Il y a des choses que tous ignorent, telles que la cause de la disparition des dwemers, ou la signification réelle de l'existence d'un être aussi ridicule que le crabe de vase. S'il fallait faire un classement de ces éléments dont le sens échappe à la masse, il faudrait sans doute placer la psychologie des khajiits en bonne place dans la liste. Peuple tantôt joyeux, tantôt fourbe, parfois rieur, parfois vicieux, tant poète que déloyal, il est bien souvent difficile de donner un avis tranché sur cette peuplade exotique. Le mystère qui entoure des hommes-chats tient notamment au fait que, au sein du continent de Tamriel, durant la 2e ère, on ignore beaucoup de choses à propos de leurs coutumes. Vivant dans la dangereuse province impériale d'Elsweyr, couverte de déserts arides et de jungles hostiles, les peuplades khajiits ne reçoivent que rarement de la compagnie, il faut bien l'admettre. Le plus souvent, les aventuriers se cantonnent aux villes principales de la région, et on ne sait donc pas grand chose des « ehpak ».
Le mot, dans le langage khajiit ( le ta'agra'iss ), a pour signification « clan ». Cela peut paraître assez simpliste, mais c'est pourtant une institution d'une grande importance pour les khajiits, puisque c'est en son sein que les principales lignes de vie de cette race se transmettent. Par exemple, il existe un tel clan non loin de la grande ville de Dune, qui fait office de poste frontière avec Val-Boisé, la province des elfes des bois dits « bosmers ». Situé dans la brousse et les dunes de la région, perdu dans un environnement aussi changeant que Khénarthi, la déesse du vent, se trouve ainsi le village du « Ehpak'Krin », qui se traduirait littéralement en langue commune par le « Clan du Sourire ». Derrière son aspect encore une fois badin, ce nom est porteur de beaucoup plus de sens, inhérent aux hommes-chats, que les humains et les elfes ne sont pas en mesure de saisir sans se l'être fait expliquer au préalable.
Le terme « Krin », que l'on transforme en « Sourire », a une teneur plus forte, pour ce village. C'est un sourire de défi adressé à Nirni, la terre qui se montre si dure envers eux. C'est le sourire aimant pour chaque membre de la communauté. C'est le sourire moqueur à l'adresse de tous ceux qui voudraient les prendre pour des simples d'esprit. Et, avant tout, c'est un sourire suffisant, dans une certaine mesure, car de toutes les races, les khajiits sont les seuls à connaître le « Second Secret », et à le garder toujours et encore secrètement pour eux. Ils l'ont appris au berceau, grâce à la sagesse de leurs mères de clans, ces matrones porteuses des secrets de la civilisation khajiit, et l'emporteront dans la tombe, à n'en pas douter. Après tout, les chats ont appris la valeur du silence, de la bouche-même d'Azurah, leur créatrice, et les khajiits sont assurément des élèves attentifs.
Néanmoins, bien plus qu'une introspection au cœur de la culture khajiiti, ces mots sont aussi l'occasion de se plonger dans l'un des souvenirs marquants de la mémoire de Cley'am, bien avant ce drôle de soir de Primétoile 2E 583, où il regardait le ciel sur une terrasse de Mistral. Il s'agit d'ailleurs ici d'un moment d'autant plus intéressant qu'il s'agit de celui où ce ja'khajiit décida qu'il ne vivrait pas toute son existence cloîtré dans ce village prospère, auprès des sages de son clan. C'est en ce jour de canicule étouffante qu'il devint un chat adulte, et qu'il prit sur lui de laisser s'échapper comme une poignée de sable toutes les bases sur lesquels il avait bâti son existence. Cela devrait alors le conduire dans de nombreuses péripéties, qui seront contées dès lors ci après.
C'est donc par des températures dignes des braises de la forge d'un orsimer ( ou orque ), que Cley'am, ja'khajiit ayant à peine l'âge de se prendre en main, s'était aventuré au dehors. Il s'agissait du début de l'après-midi, et très mal lui en avait pris, puisque l'Oeil-de-Chat brillait à son zénith et lui brûlait la peau, même à travers sa fourrure. Il avait retiré son "budi", une veste traditionnelle de son peuple, pour l'enrouler autour de sa tête et ainsi éviter l'insolation, et cheminait d'un pas las. Tout autour de lui, outre les maisons toutes les cinquantaines de mètres, séparées les unes des autres par les vastes jardins placés près des sources d'eau, il n'y avait pas âme qui vive. Ses pattes frottaient le sol poussiéreux du sentier usé par le passage des habitants, venant parfois frapper dans l'une des dalles rescapées de l'ancien tracé de la route. En effet, cette voirie avait en son temps été bâtie par des ayléides, des ancêtres des hommes ( ou mens ) et des elfes ( ou mers ), ce qui aurait sans doute grandement intéressé les archéologues de la Cité Impériale, s'ils avaient connu cet endroit.
Le chat s'en souciait autant que de l'élevage de guar, c'est-à-dire fort peu, vu la région du monde où il vivait, et cheminait donc sans s'interroger sur la question. De temps à autres, il faisait une petite pose à l'ombre de l'un des rares arbres aux amples feuilles, lui apportant une fraîcheur salutaire, et propice à consommer un peu davantage du contenu de sa gourde, mélange extrêmement prononcé d'alcool et de sucrelune. Dilué ainsi, cette épice puissante suffisait à donner à sa liqueur un goût sucré puissant au point d'en devenir presque addictif, en émoussant le système nerveux et en stimulant une sensation de plaisir dans son cerveau. Le sucre de lune offert par Riddle'Thar avait tout de la drogue douce, il fallait bien l'avouer, et son pouvoir pouvait être assez spectaculaire sur des espèces autres que khajiits. Et encore, c'était sans parler du skooma, que l'homme-chat ne consommait heureusement pas, pour sa propre intégrité physique.
Revigoré par ce remontant, Cley'am se lécha les babines, sur lesquelles gouttait encore un peu du nectar, puis se fit violence pour ne pas faire une sieste au pied du palmier, et reprendre sa route. A intervalle régulier, bien qu'il ne soit guère bruyant, le léger cliquetis de son épée battant sa hanche gauche trahissait sa présence. Outre cela, il ne portait rien de plus impressionnant que des brassards en cuir traité, et un bouclier attaché dans son dos, portant sur sa face polie une représentation très stylisée des deux lunes : Masser et Secunda. Bien évidemment, comme tous les siens, Cley'am révérait le Ja-kha'jay, ou « Treillis Lunaire », ce ballet astral entre les deux lunes, qui influençait l'apparence des khajiits selon sa configuration au moment de leur naissance.
Par exemple, lui-même était né tandis que Masser, la plus grosse des deux lunes, était croissante, et que Secunda, la seconde, trônait pleine dans le ciel nocturne. Cela avait fait de lui un « cathay-raht », une variante de khajiit bipède, d'une intelligence et d'une carrure tout à fait honorable, et en capacité de tenir tête à un elfe. Il n'en demeurait pas moins purement et simplement un félin, dans l'apparence, et son pelage tigré de blanc, de gris et de noir n'allait pas dire le contraire, de même que sa longue battante, ses griffes rétractiles, son museau, ses crocs ou ses grandes oreilles. C'était un concept à bien assimiler, puisque étaient également des hommes-chats les différentes panthères géantes, petits chats lanceurs de sorts et autres khajiits à apparence d'elfes, mais dotés d'oreilles félines et d'une queue.
Il croisa d'ailleurs l'un des protecteurs du village, un imposant tigre senche, d'une taille suffisamment imposante pour pouvoir ouvrir la gueule et y engouffrer la tête et la cage thoracique d'un adversaire imprudent. Cley'am salut son beau-frère Thi'rahk d'un signe de la main, n'ayant guère le temps de discuter avec le compagnon de sa septième sœur, d'autant qu'il était pressé. Sa sacoche pendant en bandoulière sur sa droite, du côté opposé à son sabre, contenait en effet des documents divers et variés venant de l'Archipel du Printemps, d'après ce que ces étranges types du Thalmor disaient, à l'entrée du village. Se trouvant là par hasard, il s'était vu mandaté pour remettre un message au « Pakseech-Ehpak'Krin », c'est-à-dire le bâtiment aux formes élégantes qui servait de siège pour le meneur du clan.
Cley'am n'aimait guère l'attitude qu'avaient eu les hauts-elfes à son égard, mais s'était bien gardé d'en dire quoi que ce soit. De plus en plus, depuis quelques années, il avait remarqué qu'avec la réduction du nombre d'émissaires impériaux envoyés dans son village, c'était celui de prêcheurs du Thalmor qui était en hausse, essayant de convertir les khajiits, ses frères, à la vision du monde de l'Archipel. Il aimait parfaitement la manière dont il menait son existence, et appréciait donc moyennement que l'on vienne lui dicter quoi faire, et ce fut d'ailleurs exactement le discours qu'il fit à Ra'myku, leur chef, quand il lui eu remit les documents des elfes en pattes propres. N'étant néanmoins qu'un jeunot dans l'opinion du vieux guide du clan, son avis ne fut guère écouté, aussi ne resta-t-il pas bien longtemps aux côtés de ces sommités de son village.
En réalité, ces événements n'ont guère d'importance en ce qui concerne l'histoire propre du chat, et comme il ne revint que très rarement dans son village par la suite, toutes les innovations qu'y apporta par la suite l'administration du Thalmor ne le touchèrent pas. Ce préambule conserve néanmoins deux avantages vis-à-vis de la vie de ce jeune khajiit. Premièrement, cela montre que très tôt, il a eut l'occasion d'être confronté à la présence du Domaine, quand bien même il vivait dans une région un peu perdue d'Elsweyr. Deuxièmement, cela explique qu'il ait déjà rencontré, dans ce même village, quelques altmers et bosmers lui ayant permis de s'habituer relativement vite à leurs coutumes étranges et totalement contradictoires à ses yeux. Et enfin, troisièmement, cela permet de montrer que les choix importants ne se prennent pas toujours dans des contextes sérieux, mais peuvent parfois être motivés par des paris stupides.
Retrouvant un compagnon de beuverie derrière le débit de boisson de la bourgade, un peu plus tard ce jour-là, le khajiit en vint à jouer aux dès, après avoir ingurgité quelques verres au préalable. L'idée n'avait rien de très judicieuse, puisqu'elle le conduisit à perdre la totalité de son pécule, son buddi, ses beaux brassards, le reste de sa gourde, deux boucles d'oreilles en or serties de pierreries, et une multitude de petits objets. La logique aurait voulu qu'il s'arrête là ou que, en continuant, la bêtise imbibée d'alcool de leurs propos ne portent pas à conséquence. Pourtant, la parole d'un khajiit est inviolable, et pour son plus grand malheur immédiat, Cley'am mit en jeu sa petite maison, qu'il perdit, puis rejoua en promettant de quitter l'Ehpak'Krin pour l'aventure si jamais il perdait à nouveau, ce qui fut le cas.
Pendant une quinzaine d'années, sa vie n'avait été que ce village. En un soir, et quelques verres de trop, il avait oublié l'espace d'un instant la valeur du silence, et cela lui avait coûté sa place parmi les siens, comme si le dès avait été témoin de son erreur et en avait averti Azurah. Toujours est-il que dès le lendemain, le chat était sur la route de Dune, et qu'il commençait dès lors une vie nouvelle, autrement plus périlleuse et amusante.
Chapitre 2 : Du sang dans le sable
Une longue procession d'empreintes de pattes commençait à s'estomper, tandis que Khénarthi faisait se lever le vent, balayant les indices de son passage que Cley'am avait laissé dans le sable. Il avait quitté la route depuis un petit moment, sur un coup de tête, décidant de crapahuter un peu dans les dunes afin d'atteindre la bien-nommée Dune au plus vite. Ce raccourci improvisé, ce « avek », comme il l'appelait en ta'agra'iss, était assez pénible, en réalité, puisqu'il lui fallait parfois à moitié escalader une montagne de sable friable. Il se retrouva bientôt irrité par la poussière du désert, a suffoquer dans la chaleur de la fin d'après-midi. Puisant dans les profondeurs de son esprit, il parvint à faire resurgir une pointe d'ironie, qu'il exprima dans sa propre langue avec une voix érayée par la soif :
« - Pour une nouvelle vie, cela commence fort ! »
Il avait quitté Ehpak'Krin la veille, après deux jours passés à mettre en ordre ses affaires et à faire ses adieux à sa famille si nombreuse. Son « roziss » Jo'risha, avec qu'il avait joué la partie de dès fatale, lui avait fait cadeau de certaines de ses anciennes possessions, pour que le voyage ne soit pas trop dur, et lui avait conseillé d'aller retrouver un rougegarde de sa connaissance, à la grande ville, qui saurait lui trouver un emploi suffisamment intéressant pour pouvoir se payer du sucrelune en quantité raisonnable. Cela avait été plus dur que ce qu'il avait pensé, de quitter son foyer. Beaucoup de khajiits partaient un jour ou l'autre à la découverte du monde, mais le départ n'était jamais facile.
Une dernière fois, il avait déambulé entre les jardins fleuris de fleurs du désert et les plantations de sucrelune qui, bien que plus rares dans cette partie du pays, y étaient bel et bien présentes. Il avait regardé d'un œil presque attendri les courbes suaves des bâtiments, bien sûr, avec leur formes si « khajiit », de véritables parties de l'identité de son peuple. Il s'était laissé plus qu'attendrir par les courbes suaves de ses consœurs, venues lui souhaiter un bon voyage, en se disant que l'aventure commençait fort, sans se douter des événements à venir. Il empaqueta une bonne réserve de sucrelune, de biscuits sucrés et d'eau, ainsi que ses quelques talismans et gris-gris porte-bonheur, en plus de son nécessaire de survie. Le bouclier sur l'épaule, l'épée à la ceinture, il se sentait fort et près à en découdre avec tout ce que Tamriel avait à lui opposer.
Maintenant qu'il dressait le bouclier au dessus de sa tête pour se protéger de l'astre de Magrus, il avait bien moins fière allure. Le poids de son sabre le lançait dans la hanche droite, et ses bras commençaient à flageoler à force de dresser ainsi l'écu, pourtant pas bien large. La gueule à moitié ouverte, il respirait, ou plutôt, poussait des râles saccadés, tout en se battant contre la dureté de son environnement. La pente traîtresse qu'il essayait de gravir depuis un bon quart d'heure en pleine fournaise était en train de venir à bout de lui. Il n'avait jamais été le plus casse-cou de ses semblables, ayant toujours voulu vivre une vie longue, mais ce n'était qu'aujourd'hui qu'il se rendait compte qu'il n'avait pas encore vécu, et que ce départ pouvait bien vite prendre des airs de fin.
Après avoir fourni plus d'efforts que de raison, il atteint enfin un petit promontoire plus fiable où poser la patte et, peu après, son derrière. Il s'étala un instant, haletant, dans l'espoir de reprendre quelques forces, et dégusta une rasade d'eau tiède tirée de sa gourde, qui eut à ses yeux le goût du plus doux des sucres. N'oubliant pas les « thjizzrini », les concepts absurdes, faisant office de sentences pour sa race, Cley'am s'exclama :
«- Un chat surmené oublie le goût du sucre ! »
Et comme pour illustrer son propos, piocha dans son sac un biscuit de bonne taille, qu'il saupoudra d'une bonne quantité de sucre, qui eut suffit à rendre un orc aussi docile qu'un agneau. Il s'empiffra avec avidité, et se lécha les babines à de nombreuses reprises pour s'assurer de n'avoir rien perdu de cette épice divine. Lorsqu'il estima s'être suffisamment reposé, il se redressa avec moins de vigueur, peut-être, mais davantage d'entrain. Le sucrelune n'atténuait pas réellement la douleur de ses articulations malmenées, ni le sentiment de moiteur qui l'envahissait de toutes parts à cause de ce temps difficile, mais il donnait du baume au cœur. Certes, le khajiit avait chaud, soif et fin, avait mal aux pattes et le poil emmêlé, mais il avait repris son sourire désinvolte, et pouvait à présent avancer sans gêne, en se moquant des épreuves que Nirni essayait de lui opposer, afin de la faire enrager encore davantage.
Comme pour rajouter une couche à ses moqueries à l'encontre de cette Nature vengeresse, Cley'am se mit à siffloter un air appris dans son village, évoquant la joie de la compagnie des femmes-chats aux tenues affriolantes. D'un autre côté, le son de sa propre voix lui permettait aussi de se rassurer, puisque, autrement, il ne pouvait entendre que le son du vent dans les dunes . Cela n'avait rien de bien extraordinaire, auraient dit certains, mais puisqu'il était assez superstitieux, le chat se méfiait des « Mo-jo'khaj », les esprits maléfiques se cachant dans le désert pour tromper les félins errant dans celui-ci. C'est parce que ce genre d'idées effrayantes traversaient son esprit qu'il s’arrêta soudain de siffler dans un hoquet de surprise, lorsque l'homme surgit de derrière un monticule de sable. L'air encore plus hagard que lui, le bougre tenait en tremblotant une dague devant lui, et en menaçait le félin qui regardait cette arme avec un air perplexe, à présent. Doutant que ce gaillard sache s'exprimer en ta'agra'iss, Cley'am prit le parti de l’interroger en langue commune, avec l'accent que l'on lui connaît bien, à lui et à ses semblables :
« - Le khajiit ne te veut pas de mal, rajhin-rrr. Pourquoi le menacer de ton arme-rrr ? »
Sa voix douce et sympathique avait une intonation qui donnait l'impression qu'il terminait ses phrases par de courts ronronnements. Cette manière de rouler les « r », n'était pas possible, pour les autres races, et les personnes les plus habituées à la fréquentation des hommes-chats savaient qu'il était possible de deviner leur humeur à l'aide de ce son, bien plus que par le ton, bien souvent calme, comme en ce moment. Ainsi, par exemple, si le cyrodiilien avait su déchiffrer ce ronronnement étrange, il y aurait discerné une certaine nervosité, voir de la peur. De fait, Cley'am n'avait jamais été menacé par une arme, tout du moins jamais en dehors du cadre de l'entraînement martial au « Fasiiri'ja-kha'jay ». Signifiant « Tour des deux lunes », ce genre de bâtiment était courant dans les villes khajiits, et faisait office de temple pour le panthéon ta'agra, et de lieu d'entraînement pour les ja'khajiits, que ce soit sur le plan physique ou intellectuel.
De manière assez cocasse, l'humain semblait lui aussi à moitié surpris de se retrouver là à menacer un inconnu à l'arme blanche. Les deux individus auraient sans doute trouvé fort troublant d'apprendre que l'un comme d'autre se trouvait là à cause de paris ayant mal tourné pendant une partie de dés, mais cela n'avait guère d'importance, puisque ce détail n'arriverait jamais à leur connaissance. Essayant de reprendre contenance, le bandit débutant essaya de garder un air à peu près menaçant, et de s'exprimer d'une manière suffisamment convaincante, afin d'intimer au félin de lui donner le contenu de son sac. Loin d'être très téméraire, Cley'am fit mine de s’exécuter, posant son sac au sol, à ses pattes. Accroupi devant celui-ci, il leva la tête vers son agresseur et ajouta :
« - Le khajiit n'a pas grand chose, rajhin-rrr. Mais il va te montrer, oui-rrr. Cley'am a beaucoup de sucrelune, oui-rrr. »
Voyant que ce premier larcin semblait se dérouler mieux que prévu, l'humain baissa sa garde en voyant le chat défaire les lacets de sa besace, et commencer à l'ouvrir pour lui montrer. Il se pencha même un peu, pour constater par lui-même les petites bourses remplies du précieux sucre, dont il pourrait sans doute tirer un bon prix. Hélas, comme déjà évoqué précédemment, les ronronnements d'un khajiit sont souvent très évocateurs de sa vrai pensée et, comme il fut dit encore plus tôt, les khajiits ont appris la valeur du silence, mais aussi... du mensonge. S'il avait pu discerner le ton mielleux et dégoulinant de fourberie de sa victime, il se serait sans doute beaucoup moins penché en avant pour inspecter le contenu du sac, et se serait sans doute demandé ce que le chat pouvait bien faire avec ses pattes, cachées derrière la besace. Il se le demanda sans doute, d'ailleurs, mais trop tard pour empêcher l'inévitable.
Il reçut sans sommation une poignée de sable brûlant dans le visage, venant lui brûler les yeux, lui irriter le nez et la bouche et le faire tousser en plus de l'aveugler, il eut un mouvement de recul inconscient. Pendant ce temps, Cley'am, qui était campé sur ses pattes, lui bondit dessus et lui griffa avec violence le visage, ayant sorti ses griffes aiguisées. En un coup, cinq longues zébrures pourpres parallèles entre elles vinrent ponctuer les traits du pauvre homme, dont tout un morceau de joue se détacha de sa mâchoire dans un geyser incarnat. Le hurlement qui suivit fut à la fois misérable et effrayant, à la manière dont il se poursuivit de manière ininterrompue, tandis que le blessé se remettait à peine du sable pour encaisser les coups de griffe. Se palpant le visage d'une main, à moitié aveuglé par le sable et le sang, il donnait des coups de dague dans le vide, tailladant l'air de manière irrationnelle et fort peu efficace. Les sifflements de la dague furent bientôt suivis par celui, bref et net, du sabre du khajiit, et à défaut du bruit de l'acier, le hurlement de douleur redoubla, quand bien même le chat eut cru cela impossible.
L'épée baissée, la queue battant nerveusement derrière lui, preuve s'il en est de l'adrénaline qui venait de l'envahir tendit qu'il tranchait la main du pillard, il baissa son regard bleu-gris sur le chasseur devenu proie. Baignant dans son propre sang, sa joue gauche étendue sur du sable rougi un peu plus loin, de même que sa main, l'impérial n'était pas beau à voir. Cley'am se doutait bien, à l'avoir entendu parler, qu'il ne devait pas être bien méchant, et que le banditisme n'avait pas été un choix prit de son propre chef, mais il n'avait pas de remords. Il avait défendu sa vie, et il ne voyait pas pourquoi il aurait du agir autrement. Pendant qu'il essuyait le sang étant venu rougir le fil étincelant de son arme, il regarda le vaincu se rouler par terre, tenant en tremblotant son moignon dont giclait à intervalle régulier un petit filet pourpre, tout en hurlant à s'en déchirer les cordes vocales.
Avec un soupir, frémissant légèrement des moustaches, le chat lâcha quelques mots dans sa langue :
« - Var var var... »
En réponse, le malheureux beugla :
« - AAAAAAAAAAAAAR-Eurk ! ... »
S'en suivit quelques gargouillis désagréables à entendre, tandis que l'agonisant, les yeux écarquillés réalisait où le nouveau coup de griffe venait d'être porté. Palpant avec détresse sa gorge lacérée, il se mit à convulser avec horreur avant de cesser de se mouvoir, laissant au vent reprendre sa symphonie lugubre dans le silence du désert. Un moment, il observa d'un air interdit le cadavre à ses pieds. Il ne devait pas s'être écoulé plus de cinq minutes depuis sa rencontre avec le bandit, mais pourtant, cela lui avait paru bien plus long. Il s'étonna quelque peu d'avoir réussi à tuer pour la première fois avec tant de facilité, et prit quelques instants pour réfléchir sur ce qui venait de se passer, troublé. Finalement, il marmonna une prière ta'agra pour ce drôle d'adversaire. Et reprit sa route, après l'avoir dépouillé des quelques pièces en sa possession, ainsi que de ses vivres.
Laissant la dépouille aux bons soins des vautours et autres charognards de la région, il reprit son périple, bien décidé à présent à finir d'escalader cette fichue butte, qui l'avait décidément trop retardé. Tout en grignotant un autre biscuit, ce bain de sang n'ayant en rien entamé son appétit, il franchit donc d'un bon pas les derniers mètres le séparant du sommet, en dissertant avec lui-même à voix haute de l'importance d'un bon repas après un combat. Il en était à l'explication du pourquoi du comment de ce débat intérieur, lorsqu'il se coupa lui-même, observant avec une exclamation joyeuse le panorama s'offrant dès lors devant lui, en contrebas.
Il s'agissait là d'un tableau enchanteur, avec pour théâtre un vaste ciel d'un bleu uni au milieu du quel siégeait l'Oeil-de-Chat solaire, et une grande plaine couverte de quelques herbes du désert, jaunies et desséchées. Au centre de tout ceci, la vaste cité de Dune s'étendait, tentaculaire, avec son centre urbain massif, et ses faubourgs s'étendant de toutes parts, s'achevant à leurs extrémités par de longues routes s'en allant serpenter dans les dunes. Mieux valait tard que jamais, il venait d'achever la première partie de son voyage, et se retrouvait enfin à destination. Il lui faudrait sans doute le reste de la journée pour redescendre cette colline et atteindre les portes de la ville, mais au moins, ce soir, il serait dans un lit douillet. Avec entrain, il remercia Mys'Thar de l'avoir guidé, puis reprit sa route.
Chapitre 2.1 : Une chute fracassante
La nuit commençait à tomber, et dans le ciel, Jone et Jode étaient pleinement visibles, l'un étant à peine au début de sa croissance, tandis que l'autre était pleine. Les deux astres éclairaient le chemin du khajiit dans les bosquets de la périphérie de la ville, leur douce lueur suffisant à ses yeux félins pour se repérer dans son environnement. Il avait bien moins fière allure qu'à son départ de son foyer, et c'était peu de le dire. Sa traversée du désert, au sens littéral, l'avait laissé dépenaillé, le poil ébouriffé et l'équipement envahi par les grains de sable, l'irritant au plus au point. Tout ce dont il rêvait dans l'immédiat, c'était d'aller se délasser dans une bonne taverne, pour boire tout son saoul. Le programme pouvait paraître rudimentaire, mais Cley'am était du genre à se satisfaire de peu, surtout dans ce genre de situations. La pensée de son premier meurtre ne lui laissait aucun mauvais souvenir, et il était, pour ainsi dire, tout à fait bien dans sa fourrure.
Ses pattes fatiguées le conduisirent jusqu'à une large route pavée, dont le tracé partait de la cité de Dune pour s'enfoncer dans l'Ouest, en direction de Val-Boisé. C'était une voie commerciale très utilisée, depuis la remise en place du Domaine Aldmeri, aussi y avait-il encore quelques caravanes cheminant à cette heure tardive. Il n'avait lui-même jamais réellement eu quoi que ce soit à reprocher à l'alliance de son peuple avec les mers. Suite à la propagation de la Grippe Knahaten quelques années plus tôt, il avait été, comme le reste des siens, ravi du soutien que leur avaient apporté les altmers et leurs alliés bosmers. Lorsque le Mane et les instances dirigeantes avaient choisi de s'associer aux elfes, il avait donc été d'accord, comme les autres, d'autant que malgré son nombre toujours impressionnant, Ehpak'Krin avait beaucoup souffert de cette épidémie. Bien sûr, il n'appréciait guère les airs suffisants des justiciars du Thalmor qui se pavanaient maintenant en Elsweyr, mais ce n'était pas si grave que cela.
En parlant de justiciars, une brigade d'entre eux était justement en train d'interroger le conducteur d'une charrette bâchée conduite par deux chevaux, arrêtée sur le bord de la route. Dans la pénombre, le chat parvint à déterminer que le caravanier était un humain, sans pour autant deviner son origine, n'arrivant décidément pas à les discerner les uns des autres. Deux altmers en armure lourde semblaient mener l'interrogatoire, tandis que leur supérieur, en robe, restait en retrait. Un quatrième homme, bosmer d'après sa démarche légère, portait également l'uniforme, et se dirigeait vers la bâche, souhaitant visiblement inspecter le contenu du chargement. Cley'am put sentir, même à une dizaine de mètres, le trouble dont été épris l'humain, et s'estima bienheureux de ne pas se retrouver à sa place. Son sentiment se renforça quand, après avoir accompli sa besogne, l'elfe des bois se redressa et adressa le mot fatal à l'adresse de son supérieur :
"- Skooma !"
Aussitôt prit de panique, le bougre sauta de son chariot, parvenant à se faufiler de justesse entre ses futurs bourreaux, et tenta de s'enfuir. Ne bénéficiant pas de la vue aiguisée du khajiit, il fonça donc dans sa direction, sa peur l'empêchant de faire attention aux deux lueurs bleu-gris qui l'observaient depuis quelques minutes maintenant. A son passage, Cley'am se contenta de tendre la patte sur le côté, dans laquelle buta le nordique, puisque telle était son origine, partant s'étaler dans la poussière. La chute fut rude, et le bruit sourd qu'entendit le chat lui permis de déterminer que le pauvre homme s'était sans doute casser une ou deux dents en se fracassant le crâne contre un pavé. Il lâcha un gémissement ténu, qui n'était que le premier d'une longue série à venir, tandis que les deux brutes du Thalmor se jetaient sur lui. Une fois encore, il décida qu'il serait plus avisé de s'écarter un peu, ainsi resta-t-il en retrait tandis que les altmers rouaient le trafiquant de coups.
Dans l'intervalle, le mage de bataille menant la troupe s'approcha de lui, l'air légèrement hautain, le détaillant de la tête aux pattes tandis qu'il en faisait autant. L'inquisiteur finit par le remercier de l'aide qu'il avait apporté aux autorités, lui demanda son nom, et le somma de circuler. Le khajiit acquiesça et fila sans demander son reste, estimant qu'il était de bon augure que le haut-elfe ne juge pas nécessaire de l'embarquer également, par excès de zèle. Il se doutait bien qu'il ne recevrait guère de récompense pour son acte, et avait davantage agit sur un coup de tête qu'autre chose, en définitif. De plus, il n'aimait guère voir tout ce bon sucrelune gâché en skooma, et se dit que ce "jekosiit" n'avait que ce qu'il méritait. Et puis, ce n'est pas comme si cela allait l'empêcher de digérer.
Chapitre 3 : Une vie de sucre
Après cette nouvelle péripétie, il fut enfin temps pour l'homme-chat courbaturé d'atteindre les portes de la ville. Il faisait bel et bien nuit, à présent, et la route était tout à fait déserte depuis un bon quart d'heure. Les derniers à l'avoir dépassé avaient été les justiciars du Thalmor, sur la charrette réquisitionnée au nordique qui, attaché à cette dernière, claudiquait derrière son ancien bien. Heureusement pour Cley'am, sans doute, que les coquards qui étaient venu remplacer ses yeux l'avaient empêché de le reconnaître, surtout quoi il lui aurait sans doute craché un caillot de sang au museau. Comme cela pouvait être prévisible, le Thalmor n'offrit pas au khajiit de faire la route avec eux, et ils le laissèrent en arrière sans plus de cérémonie, devant déjà être de retour au chaud tandis qu'il cheminait encore.
Sa queue commençait à sérieusement perdre de sa superbe, à traîner tristement dans la poussière, et il n'avait plus lui-même très bonne mine, tant la lassitude commençait à prendre le pas sur sa bonne volonté. Toujours est-il que devant l'entrée de la rue principale, il avait davantage l'air d'un vagabond ou d'un mendiant, que d'un voyageur respectable digne d'être respecté. Le concept de pauvreté, tout comme celui de propriété privé, est très flou, chez les khajiits, et n'existerait sans doute pas s'ils avaient toujours vécu en autarcie à l'écart des autres espèces. Aussi, malgré son air misérable, ne croisant sur sa route que des représentants de son propre peuple, il n'eut guère de problème. Il parvînt même à se faire indiquer l'adresse d'une auberge sympathique, vers laquelle il concentra dès lors toute sa ténacité.
La délivrance ne lui fut accorder qu'aux environs de la minuit, tandis que Jone et Jode s'étaient déjà agréablement lovés dans le ciel nocturne, et que la plupart des rues commençaient à se vider pour de bon. Il entra dans l'établissement dont l'enseigne portait le nom prometteur de « Ajo-Nukoh », ce qui pouvait se transcrire en langue commune par quelque chose comme « Au merveilleux repos ». Il y fut accueillit par quelques piliers de bar et un gérant un peu bourru, mais qui se montra bien plus avenant dès lors qu'il eut pu apprécier la couleur de son argent. Au bout d'une courte transaction, Cley'am s'en sortit avec une chambre luxueuse, un plateau repas garni et une outre de vin, et décida de profiter de la première à l'aide des deux autres.
"Fusozay var var"
Tel semblait être le thjizzrini qui allait donner le ton des prochains jours, en ce qui le concernait. C'était un appel à la débauche et à la joie simple de jouir de sa propre existence.
Ainsi donc, on retrouve le chat affalé dans un large lit drapé de soieries communes mais confortables, en train de tenter de faire éclater son ventre à l'aide des nombreuses sucreries qu'il s'était offert, tout en les faisant passer avec des lampées d'alcool. Cley'am, comme il a déjà été possible de le remarquer, est un khajiit friand de sucrelune, et il a tendance à en manger à toutes les sauces. Si tous ses confrères ne sont pas aussi excessifs que lui quant au goût de leur nourriture, il est à noter que, naturellement, la cuise des hommes-chats, et donc celle-ci, est très souvent assaisonnée au sucre-de-lune, quoi qu'il arrive. Il ne fut donc pas obligé de venir piocher dans ses propres réserves ce soir-là, et en définitif, décida qu'il avait passé une bonne soirée.
Délirant d'un sommeil euphorique, ses songes le conduisirent malgré tout à repenser à cette famille que, par sa parole, il s'était juré de quitter. En dépit de toute sa bonne volonté, à moitié anesthésiait par le sucre, il en arriva à éprouver de profonds regrets pour ses actes, et à s'en vouloir. La valeur du silence ne lui avait-elle donc pas suffisamment été inculquée ? Que devait penser Azurah en le voyant, à présent... Il fallait absolument qu'il se fasse pardonner, qu'il se rattrape. De belles paroles, qu'il oublia malheureusement dans son sommeil.
Le lendemain en début d'après-midi, lorsqu'il se fut réveillé avec une migraine non négligeable, à la fois due à l'exposition massive au soleil de ces derniers jours et au vin rouge qu'il avait dégusté, il ne fut plus réellement du même avis. Il passa quelques heures dans la salle commune, à discuter avec le tenancier tout en sirotant, la gueule poisseuse, une boisson fraîche dans la patte. Il apprit de ce dernier qu'il s'appelait Ra'kohjah, ce qui eut le don de le faire rire, dans un premier temps. Il est en effet bon de savoir que les noms des khajiits peuvent être porteur de sens, et qu'il est donc extrêmement important de ne pas les écorcher si c'est le cas, pour éviter d'insulter volontairement un homme-chat.
Pour sa part, son nom n'avait guère de véritable sens, bien que les sonorités faisaient irrémédiablement penser à un mot en ta'agra'iss signifiant « le joyeux », ce qui lui collait si bien à la peau qu'il n'avait jamais pris de surnom. A l'inverse, cet aubergiste avait un nom très évocateur, puisqu'il correspondait à « Chef des affaires ». Ra'kohjah n'avait pourtant l'air que d'un innocent chat tenant son affaire de manière paisible, et c'était pour cela que l'appellation avait attiré l'hilarité de Cley'am. « Ajo-Nukoh » était un coin réellement agréable, comme le comprit très vite Cley'am au cours des premiers jours.
Le bâtiment se dressait dans l'une des artères qui conduisaient à la rue principale, juste suffisamment proche pour ne pas être marginalisé du reste de la ville, et suffisamment éloigné pour permettre de conserver cette sensation de quiétude perpétuelle. A la lumière de l'Oeil-de-Chat, l'exilé avait remarqué que la devanture était en réalité très colorée, dépeignant une fresque très stylisée de la création du monde, selon la conception khajiit. De même, l'intérieur du bâtiment comportait un petit autel en l'honneur des dieux, dans un coin de la salle, et une grande effigie de Riddle'Thar, dieu du sucre et du plaisir, trônait au dessus du comptoir. Bien loin des tavernes des mers et des humains, la principale salle de cet établissement comportait une multitude de coussins confortables, dans lesquels flânaient à toute heure du jour ou de la nuits des félins hédonistes.
En s'habituant un peu plus à ce cadre, Cley'am apprit également que Ra'kohjah n'était pas seul à tenir sa taverne, en vérité. Il avait deux sœurs, avec lesquelles il tenait cette affaire familiale, qui s'étendait semble-t-il sur plusieurs générations. L'une d'elle, Ji'tirah était une alfiq de bonne taille, pouvant rivaliser avec un molosse de Bordeciel par la taille, dont il se mit rapidement à penser qu'il lui plaisait, bien qu'elle n'était pas dotée de parole pour le lui confirmer. Quant à l'autre, Sel'behl, il s'agissait d'une ohme-raht, l'une de ces khajiits que l'on ne pouvait différencier des bosmers que grâce à sa queue indéniablement féline, et à son très fin pelage. Tandis que la première semblait passer la plupart de son temps à se pavaner dans la salle en lisant des livres, la seconde, en armure de cuir et armée d'une matraque de bonne taille, restait la plupart du temps à l'entrée, assise sur un tabouret, à surveiller les clients d'un œil sévère.
Cela était une précaution plus que nécessaire car, si en effet les khajiits étaient des hédonistes, cela pouvait avoir tendance à rapidement déraper. La fratrie ayant décidé de ne pas laisser leur auberge devenir un vulgaire bordel, il était donc souvent nécessaire de refréner les débuts de dérapages en suggérant plus ou moins brusquement aux clients de se payer une chambre s'ils tenaient tant à profiter au maximum du confort définitivement « merveilleux » de l'endroit. Sel'behl possédait pour cela d'une patte de fer, malgré ses allures de mer fragile, et avait notamment surpris l'arrivant d'Ehpak'Krin, lorsqu'elle avait réussit à sortir un cathay-raht faisant deux têtes de plus qu'elle, tout en muscle, et cela uniquement en lui tirant l'oreille comme avec un ja'khajiit.
L'alfiq, quant à elle, se révéla être une fille extrêmement cultivée, de par le choix de ses lectures, qui était l'un des rares moyens pour elle de palier à son mutisme pour montrer ses intérêts. Il pouvait paraître étrange à un humain, d'apercevoir ainsi ce qui apparaissait comme un gros chat noir, assis sur un sofa devant un livre, tournant délicatement les pages à l'aide de ses griffes. Pourtant, les sots qui aurait osé faire une remarque auraient eu de sérieux ennuis, puisqu'elle était bien plus intelligente que leurs lointains cousins domestiques, qu'ils ne considéraient pas mieux que des animaux, tout comme les autres races intelligentes. Autant comparer un humain à un gorille de Val-Boisé.
C'est avec un certain plaisir qu'il partagea dès lors un bon nombre de lectures avec elle, la lui faisant même par moment, tout en se délectant allégrement des plaisirs du sucrelune et de la boisson. Autant dire que, à défaut d'être réellement intéressante, cette période fut pour le moins reposante et plaisante pour le jeune khajiit, tant et si bien qu'il en oublia même que l'argent qu'il s'employait tant et si bien à dépenser devait bien finir par s'épuiser. Il s'agissait là d'un parfait exemple de l'insouciance dans laquelle avait tendance à plonger l'abus de sucrelune, ce qui était évidemment le cas présent, même pour un consommateur régulier tel que Cley'am. Une insouciance qui n'allait pas rester sans conséquences, hélas.
Le jour où le pécule de Cley'am vint à s'épuiser complètement lui fit l'effet d'une baffe, en quelque sorte. Cela faisait bientôt deux mois qu'il vivait à l'« Ajo-Nukoh », étant presque devenu aussi notable dans le quartier que n'importe lequel des habitués du bar. Il commençait à connaître relativement bien Dune, dans laquelle il se baladait souvent en compagnie de Ji'tirah ou de Sel'behl, si bien que la cité était en quelque sorte devenue son nouveau foyer, dans tous les sens du terme. Pourtant, il connaissait Ra'kohjah, à présent. Il savait qu'il ne pourrait pas demeurer sous son toit à moins de payer pour sa chambre, aussi amicales pouvaient être leurs relations, en dehors de cela. Ainsi, ce jour-là, il vint trouver le tenancier, et lui exposa son problème.
Le khajiit à la fourrure fauve l'écouta d'un air calme exposer ses histoires d'argent, tout en essuyant une chope à l'aide d'un torchon bariolé. Enfin, lorsqu'il eut terminé de partager sa détresse, un sourire s'étendit sur les lèvres du taverneir, dont les yeux se mirent à pétiller avec malice. Il posa ce qu'il était en train de faire puis, sans crier gare, et plaquant ses pattes sur la table, il s'exclama en langue khajiit :
« - Tu as besoin d'argent, j'ai besoin de bras. Je'm'ath !! »
Chapitre 4 : Fini de jouer
Il lâcha un grommellement mécontent, le dernier en date d'une longue série qui s'étendait sur plusieurs jours, depuis qu'il avait accepté le je'm'ath de Ra'kohjah. Encore maintenant, il se demandait comment il avait pu être aussi naïf, face aux airs innocents de ce « jekosiit » qui se faisait passer pour un honnête tenancier. Mais il fallait remettre les choses dans leur contexte :
Le « Je'm'ath » est une pratique de la société khajiit avec laquelle il ne faut pas plaisanter, étant donner les proportions qu'elle peut prendre. C'est ce que les autres races appelleraient de manière vague le service-contre-service, ce qui ne semble pas pouvoir faire beaucoup de tord à qui que ce soit. Cependant, il est à noter que les hommes-chats d'Elsweyr, très soucieux de respecter les enseignements d'Azurah, ne donnent jamais de paroles en l'air, ce qui explique pourquoi ils ne font que très peu de promesses et ont tendance à mentir à tout bout de champs. Aussi, le « Je'm'ath », s'il est transgressé, à tendance à se terminer en règlements de compte plus que violents, desquels on ressort rarement indemne.
Dans le cas présent, Cley'am s'était engagé à contrecœur, mais sans réelle crainte dans un premier temps, dans une de ces affaires. Ra'kohjah avait besoin de lui pour accompagner un groupe d'autres khajiits endettés dans une « Kohjah », ou affaire, pour le moins périlleuse, qui devait lui rapporter pas mal de profit. En effet, le chat découvrit à son plus grand étonnement que l'Ajo-Nukoh était en réalité une vrai plate-forme de circulation du commerce illégal de skooma à Dune. Tous ses employés en étaient complices, y comprit Sel'behl et Ji'tirah, qui lui avaient définitivement bien caché leur jeu. Il aurait pourtant du le voir venir, lui qui était tout aussi bon menteur que n'importe quel autre félin, mais cela n'avait pas été le cas.
En dépit du profond sentiment de trahison qui l'avait assaillit en apprenant d'une seule traite toutes ces informations, il était donc restait silencieux sur ce trafic qu'il réprouvait. Il ne pouvait parler à moins de briser le je'h'math, et d'offenser les préceptes d'Azurah, ce à quoi il s'était formellement opposé, de peur de s'attirer le courroux de la déesse après ses précédentes déboires de bavard à Ehpak'Krin. Pris par ce dilemme insoluble, il s'était donc muré dans un mutisme renfrogné, peu habituel chez lui, et s'était équipé en circonstance pour la fameuse opération pour laquelle il avait été engagé par le tavernier peu scrupuleux.
Il ne goûta que très peu l'ironie du sort, qui fit que la cible de ses compagnons et lui soit un entrepôt du Thalmor dans lequel était détenu, depuis à peu près autant de temps que Cley'am était à Dune, une importante cargaison de skooma qui avait été interceptée. Pour son propre bien, il estima d'autant plus préférable de respecter la valeur du silence en ne dévoilant pas sa probable implication dans la perte de la marchandise. Aussi, il s'acheta avec la première partie de son salaire quelques pièces d'armures entre le cuir et la plate, et se résigna à son sort. La nuit où devait avoir lieu leur cambriolage, il se rendit près de l'entrepôt, au point de rendez-vous, où il était seul depuis une demi-heure – à grogner, donc.
Enfin, à l'issue d'une période qui lui sembla interminable, et qui mit à rude épreuve sa patience déjà bien usée par le contexte de sa vie présente, il fut rejoint par les deux individus qui constitueraient son équipe, dans le casse de cette nuit. A l'aide de la lueur de Jone et Jode, toutes deux pleines dans le ciel, les deux humains se faufilèrent aussi discrètement que le leur permettaient leurs carcasses malhabiles jusqu'au khajiit. Ra'kohjah avait expliquer à Cley'am, qui se serait bien passé de le savoir, que les humains étaient la main-d’œuvre la plus pratique à engager, puisqu'elle était la seule à être suffisamment cupide pour ne pas essayer de consommer le skooma plutôt que de le vendre. Du moins, en règles générales. Et en effet, bien qu'il ne se soit pas améliorer pour reconnaître les différentes ethnies d'hommes, le chat devait bien admettre que ces deux-là avait comme qui dirait la « gueule de l'emploi ».
Des silhouettes fluettes, des airs vicieux, des yeux perfides, des tenues noires, des dagues dans leur étui et une ressemblance frappante avec des ragnards, c'est les seuls attributs qu'il trouva à leur donner, et estima tout aussi préférable dans rester là. Il n'avait pas une tenue susceptible d'être aussi discrète que la leur, mais il compensait par son agilité féline pour se tirer des mauvais pas, et se moqua bien de leurs airs dédaigneux à son égard. Aucun d'entre eux estima nécessaire d'échanger des politesses ou de se présenter, point sur lequel il s'accordait complètement. Aussi, ils ne se rependirent guère en bavardage et se mirent au travail sans plus tarder, ayant d'ors et déjà été renseignés sur leur mission de façon individuelle.
En s'approchant du poste de garde, qu'il devait surveiller tandis que ses compères forçaient le verrou du hangar, Cley'am évalua rapidement le nombre d'adversaires qu'ils auraient à affronter, si jamais les choses tournaient mal. Le constat ne fut guère encourageant, puisqu'une garnison complète semblait affectée là, avec son lot de justiciars et d'inquisiteurs prêts à en découdre. Il se demande combien de temps il pourrait bien réussir à tenir devant cette troupe d'experts, si la situation l'exigeait, et déglutit difficilement en réalisant que ses probabilités de survie étaient assez faibles, dans un tel cas de figure. Il prit néanmoins sur lui de se ressaisir rapidement, quittant vivement sa couverture pour rejoindre ses collègues, qui devaient en avoir terminé, à présent.
En effet, le verrou de la large porte coulissante n'avait semble-t-il pas causé grand problème à l'un des deux humains, et il arriva juste à temps pour entendre le déclic plaisant de la porte déverrouillée. Il entra alors en jeu, usant de sa musculature supérieure à celle de ces deux brigands fluets, et se campa sur ses pattes tout en faisant glisser la porte coulissante sur son rail, ouvrant un trait fin passage, pour éviter d'attirer l'attention avec le bruit de l'ouverture. Sans perdre de temps, les trois compères se glissèrent à l'intérieur de cet espace de stockage austère, et se mirent à la recherche de leur butin. Tandis que Cley'am profitait de sa nyctalopie totale pour commencer à observer les lieux de ses yeux luminescents, les deux humains fouillèrent rapidement leurs sacoches à la recherche de potions de vision nocturne, ce qui leur permit d’errer entre les chargements sans avoir à utiliser de torche ou d'autres objets pouvant attirer l'attention.
Cley'am ne s'était encore jamais essayé au cambriolage, et s'il n'était guère content dans le cas présent, en raison de la trahison de ceux qu'ils pensait être fiables, il n'en trouvait pas moins cette expérience excitante. Il observa avec convoitise tous ces objets confisqués et entreposés là, à l'insu de tous sauf de la poussière. Profitant des difficultés de ses compagnons à se repérer dans l'obscurité, malgré leurs potions, il en profita pour se remplir les poches, dérobant par ci, par là, quelques bijoux et artefacts suffisamment petits pour tenir dans ses poches. Il ne comptait pas se faire avoir deux fois, et savait maintenant que Ra'kohjah pouvait le doubler à tout moment, aussi préférait-il assurer une légère rentrée d'argent dans toute cette histoire. Il ne put cependant pas razzier davantage l'entrepôt, puisque les deux autres avaient, semble-t-il, trouvé ce qu'ils recherchaient.
La charrette était bien là, telle que le chat l'avait vu pour la première fois, sur la route à l'extérieur de la ville. Les agents du Thalmor l'avaient laissé intacte, ce qui ne devait pas être le cas de son conducteur, et une étude rapide leur permit de déterminer que la marchandise n'avait pas été endommagée non plus. Toujours avec une rapidité due à la prise de connaissance de leur plan à l'avance, ils firent une chaîne pour décharger le véhicule des quelques caisses qu'il contenait, et les amener à proximité de l'entrée, à une vingtaine de mètres de là. En tout, cela ne devait pas faire davantage de dix minutes qu'ils s'étaient introduit en ces lieux, lorsqu'ils eurent finit de déplacer la cargaison, à renfort de précautions pour ne faire aucun bruit qui leur serait fatal. Il s'agissait là d'une épreuve très grisante, en définitif, et des plus grands instants de frayeur que Cley'am avait jamais ressenti jusqu'alors.
La dernière phase, mais non des moindres, fut dès lors de sortir les caisses du hanger et de les amener à couvert. Il y en avait une bonne dizaine, et ils étaient en mesure dans porter deux chacun à chaque voyage. Il avait été décidé que les deux humains emporteraient les 4 premières, tandis que Cley'am surveillait le poste de garde, puis qu'ils reviendraient tandis qu'il en emporterait deux de plus, les faisant se croiser à mi-parcours. Ensuite, le khajiit n'aurait plus qu'à surveiller le dernier voyage tout en préparant l'évacuation du quartier.
Le premier voyage ne se déroula sans trop de mal, bien qu'à l'aide de sa vision nocturne, le khajiit estima n'avoir jamais rien vu d'aussi lent et maladroit que ces deux humains, et s'imagina tout du long qu'ils allaient déclencher l'alerte. Il s'avéra qu'il s'était montré trop pessimiste, puisque tout se déroula sans accroc, et que la première partie de la cargaison fut sécurisée, et dissimulée dans une rue adjacente. Bientôt, les deux compères reparurent, et se dirigèrent vers lui. Il se saisit alors de ses deux caisses, une sous chaque bras, et se dirigea lui-même à leur rencontre. Ils ne s'adressèrent bien entendu aucune parole tandis qu'ils se croisaient, mais cela n'empêcha pas pour autant un justiciar plus minutieux que ses collègues de faire sa ronde dans leur direction et de remarquer les yeux du félin, dans la pénombre.
Lorsqu'il les héla, Cley'am remarqua pour sa plus grande surprise qu'il s'agissait là du même bosmer qui avait participé à l'arrestation du trafiquant de skooma, quelques semaines plus tôt. Sans demander son reste, il décampa, abandonnant sur place ses deux caisses, tandis que dans le hangar, les deux humains devaient se sentir bien embêtés, car obligés de s'exposer pour s'enfuir. Cette pensée n'effleura même pas l'esprit du chat, qui abandonna les deux hommes à leur triste sort. Tandis que les troupes du Thalmor chargeait l’entrepôt entrouvert, le khajiit s'évanouit dans la nuit, couvrant d'une bâche et de détritus les quatre caisses déjà mises en sécurité avant de prendre ses pattes à son cou.
Le reste de la nuit fut passé à errer sans guère de but dans les ruelles obscures et mal famées de Dune, en attendant le jour pour regagner l'Ajo-Nukoh et une probable remontrance. Il doutait fort que sa récompense soit très élevée, si ses deux collègues avaient réussis à s'échapper. Si jamais le Thalmor les avait coincé, il pourrait toujours s'attribuer le sauvetage des quatre caisses, et ainsi avoir rempli sa part du Je'm'ath, sinon quoi il serait dans de beaux draps. Ce n'était guère sympathique de sa part de souhaiter l'emprisonnement, et par extension, la mort de ses collègues, mais il devait définitivement penser à sa propre survie, dans le cas présent. Encore une fois, ses propos égoïstes étaient davantage à mettre à l'ordre de l'instinct de survie que du sadisme.
Aussi, lorsqu'il entra dans la taverne, à l'aube, il remercia Azurah de tout son cœur de n'avoir pas permis à ces deux humains de voir l'aube autre part que dans une cellule, comme le lui apprit Sel'behl a son arrivée. Il lui assena une accolade joyeuse en apprenant la nouvelle, ce qui la dérouta quelque peu, semble-t-il, puis alla s'entretenir auprès de son employeur de fortune, qui gérait les derniers détails de cette histoire, dans l'arrière-boutique. Son air renfrogné n'étonna pas plus que cela Cley'am, lorsqu'il constata, pour sa propre joie, que seules quatre caisses avaient été récupérées par les autres hommes de Ra'kohjah, dont le nom était en fin de compte définitivement bien choisi. Il avait récupéré moins de la moitié de son investissement, aussi fut-il très pressé de connaître le fin mot de l'histoire.
En bon menteur, Cley'am lui expliqua sans broncher la manière dont il avait du supporter le manque de professionnalisme des deux humains, et traîner lui-même la cargaison, tenu qu'il était par le Je'm'ath, tandis qu'ils essayaient de piller l'entrepôt à la recherche d'objets précieux. Il lui expliqua de quelle manière ils avaient, dans le bêtise, finis par attirer l'attention des gardes, et de quelle manière il avait du lui-même se fier à sa seule chance et à la bienveillance du Ja'Kha-Jay pour s'en tirer. En fin de compte, il parvint enfin à obtenir de son maudit employeur improvisé qu'il lui verse dans une bourse une bonne quantité de pièces d'ors sonnantes et trébuchantes, et le laissa à ses affaires. En revenant dans la salle principale, il fut soudain interpellé par Ji'tirah. L'air moins distante que son frère et sa sœur, elle miaula pour qu'il s'approche, le regard empli d'un certain trouble, de ce qu'il put comprendre. Elle avait sous la patte une liasse de documents, qu'elle poussait vers lui avec insistance.
Troublé, il découvrit bientôt qu'il s'agissait là des nouvelles du jours, que Ra'Kohjah recevait tous les jours pour les placarder au mur de l'entrée de sa taverne. Un examen rapide ne lui permit pas de comprendre ce que l'alfiq souhaitait lui montrer, jusqu'à ce qu'il tombe sur une simple affiche et que, soudain, son sang ne fasse qu'un tour. Son contenu était pour le moins troublant, et Cley'am ne put retenir une bordée de jurons à mi-voix...