1/Une chasse au clair de lune
L’air fleurait bon l’ancolie et la cardamine des prés en cette fin de journée dans les collines d’Elsweyr. Le soleil se couchait progressivement, illuminant une dernière fois un camp abandonné de pillards. Sur un escarpement peu élevé, cachées dans les fourrées, deux silhouettes contemplaient le spectacle en silence. Assises côte à côte depuis une heure, elles fixaient le camp, aussi immobiles que deux statues de sel. Une Elfe noire et une Khajit. L’association avait de quoi surprendre. Deux êtres que tout oppose. La première avait déjà devant elle une longue vie d’aventurière et sans doute encore de nombreuses décennies pour parcourir les vastes étendues de Nirn. La seconde n’avait encore qu’une vingtaine de lunes à son actif. L’une avait la peau gris sombre, les yeux cramoisis et les cheveux d’ébène tandis que l’autre arborait un pelage blanc cassé aux fines rayures beiges et des yeux d’un vert d’eau lumineux. Le blanc et le noir. Une association qui semblait irréelle au possible, mais qui a vécu sur Nirn sait qu’il peut aller au-devant de nombreuses surprises.
Ainsi donc les deux équipières fixaient le camp depuis une heure lorsque le soleil disparut derrière les montagnes. Subitement l’ombre s'abattit aux alentours et le camp plongea dans la pénombre. Khaladhen, l’Elfe noire, s’accroupit et Maï’sha, la Khajit, se pencha légèrement en avant, humant l’air. Khaladhen se tourna vers le chat, attendant son verdict. Les pupilles des yeux de Maï’sha venaient de s’ouvrir complètement. Chaque infime parcelle de lumière était captée et utilisée afin de percevoir le moindre mouvement dans l’air ; ses oreilles cachées sous une épaisse tignasse beige ne cessaient de bouger. « Ils sortent, déclara-t-elle en fronçant le museau, je sens leur odeur partout. ». Khaladhen acquiesça et sortit discrètement des fourrées, Maï’sha sur ses talons. Ses yeux s’étant habitués à la pénombre, elle dénombra presque une dizaine d’individus se regroupant au centre du campement. Les deux lunes ne s’étant encore pas totalement levées, la lumière était faible et Khaladhen ne se sentait pas à l’aise. Mais il fallait agir vite, ne pas les laisser quitter le camp et les détruire pendant qu’ils étaient ensemble. Le contrat était juteux car éliminer des vampires n’était pas à la portée du premier venu. Rendus agressifs par la soif, pouvant léviter, se transformer en nuées de chauves-souris afin de fuir, maîtrisant la magie noire, les vampires étaient une forme de vie redoutable et redoutée dans tout Nirn. Fils et filles de Molag Bal, le terrible Prince Daedra du Meurtre, des Crimes et maître d’Havreglace, les vampires affichaient avec fierté leur cruelle et horrifique parenté. Tels d’affreux parasites, les vampires n’avaient que deux buts : boire du sang et créer des nouveau-nés qui viendraient agrandir leur armée à la gloire du Prince.
Toutefois, Khaladhen avait vu des choses bien pires qu’une bande de vampires. Mais il fallait rester prudente. Être trop sûr de soi, conduisait bien souvent à la mort chez les aventuriers. Avec un geste de la main vers Maï’sha, l’Elfe s’agrippa au rebord de la corniche surplombant le camp et se laissa tomber sans bruit au sol. Le sort de Silence que lui avait lancé la Khajit assurait sa discrétion. Khaladhen tourna son regard vers le camp tout en restant accroupie. Le plan était simple mais efficace. Les vampires devaient tous se regrouper autour de leur chef avant la chasse afin de recevoir les instructions habituelles. C’est à ce moment-là que les deux chasseuses devaient agir. L’Elfe identifia facilement le chef. Un Bréton, grand et musclé, vêtu d’un élégant pourpoint et portant une fine dague à la ceinture. Il était en train de motiver ses troupes. « Parfait ». Khaladhen passa la main derrière son oreille droite, un geste infime qui signalait à la Khajit de mettre en place le sort Cimetière cupide qui permettait d’infliger énormément de dégâts à la cible. L’avantage de ce sort résidait aussi dans le partage de sa puissance et de ses effets avec le partenaire du lanceur. Khaladhen dégaina ses deux épées donc les lames luisaient légèrement. Etant enchantées avec des glyphes de feu, elles détruisaient plus facilement les vampires. Inutile pour ce genre de cible d’empoisonner les lames car les vampires sont immunisés au poison et autres maladies.
Soudain, le sol se mit à trembler et à se fissurer laissant sortir des nuées glaciales et bleutées. Les vampires, désorientés, voulurent reculer mais leurs pieds étaient déjà pris dans une glace mortuaire. Leurs têtes se tournèrent et des cris de rage s’élevèrent tandis que les doigts se pointaient au-dessus de la tête de l’Elfe qu’ils n’avaient même pas remarqué. Maï’sha était parfaitement visible à découvert sur le haut du promontoire et ne pouvait bouger tant que le sort était actif. C’est à ce moment que Khaladhen bondit vers les vampires les plus proches. Trop occupés à fixer leur attention sur la mage, ils ne virent que trop tard l’ombre noire fondre sur eux. Un sifflement dans l’air puis deux gargouillis horribles. Deux vampires s’effondrèrent, les mains autour de leur gorge, une plaie béante dont les bords commençaient à s’enflammer laissait s’échapper un flot de sang noir. L’air continuait de vibrer sous les incantations de Maï’sha et le grondement souterrain se faisait plus fort. Kaladhen sentit une poussée de puissance s’insinuer dans ses lames et son corps. La seconde partie du sort faisait effet et lui conférait plus de puissance d’attaque. Trois autres vampires s’écroulèrent en quelques secondes, réduits en cendres ou tombant en morceaux. Mais brusquement, le sort s’effaça et le calme retomba. Le sol avait retrouvé son aspect normal et les combattants se fixaient, éberlués. Khaladhen se retourna et aperçut Maï’sha, un genou à terre, le front ensanglanté ; elle avait reçu un jet de magie en plein visage qui lui avait fait perdre le contrôle du sort. « *** ». L’Elfe perçut un mouvement à sa droite et se jeta sur le côté pour éviter de justesse un des vampires survivants. Les griffes du monstre lui lacérèrent pourtant le bras et l’aventurière grogna, frustrée. Puis d’un geste vif de sa lame gauche, elle déchira le visage de la bête, une Elfe des bois, qui recula, hurlant de douleur et de rage. Mais un autre assaillant arrivait de nouveau sur elle. Toujours sur le dos, elle sentit qu’il lui serait difficile d’échapper à une morsure, quand un éclair de foudre s’abattit sur les deux vampires qui tombèrent au sol. Saisissant sa chance, la guerrière se précipita et fit jouer ses épées.
Haletante et ensanglantée, elle constata que les deux vampires restant la fixaient, l’un armé d’un cimeterre rougegarde et le second les mains entourées d’un fluide glacial. Khaladhen fit rapidement le compte et remarqua qu’il en manquait un. « Ça y est tu as percuté ? ». Une voix s’éleva de son dos, rieuse. Son regard chercha la corniche et la scène qu’elle y observa la glaça d’effroi. « Mais c’est qu’elle est plutôt mignonne pour un chaton, cette petite et elle a une très belle fourrure, toute douce, ça serait dommage de la tacher… », dit le maître vampire en souriant, laissant apparaître des crocs d’une blancheur éclatante. Pour toute réponse, Khaladhen affermit sa prise sur ses lames, faisant blanchir les jointures de ses mains, tandis que Maï’sha grondait sourdement découvrant ses crocs félins. « Doucement ma belle, arrête de ronronner sinon je ne pourrais résister à l’envie de te prendre comme animal de compagnie. » et il éclata de rire. Khaladhen était plus qu’agacée de l’arrogance du maître vampire et sentit dans son dos, que ses acolytes s’étaient approchés et l’encadraient. L’esprit de la guerrière était en pleine ébullition, elle devait trouver un plan de sortie le plus vite possible où la tournure des événements pouvait très vite dégénérer. Ce dont elle ne se doutait pas, c’était que le cerveau de Maï’sha tournait également à vive allure. Les Khajits possèdent de nombreuses capacités naturelles comme la nyctalopie mais également des griffes acérées et redoutables ainsi qu’une remarquable vitesse. Dans un premier temps, la magie ne la sauverait pas. Tenter une incantation proche d’un monstre à l’ouïe si fine signerait son arrêt de mort. Il fallait parfois laisser sortir son instinct naturel et agir tel Kunzaha-ri en vraie guerrière animale. Et il y a certaines incantations qui ne nécessitent pas l’intervention d’un bâton… Maï’sha sourit doucement, elle avait trouvé. Elle se détendit et se laissa aller contre le vampire, sa main lâcha son bâton et ses yeux rencontrèrent les deux lunes. « Jone et Jode, donnez-moi la force », pensa-t-elle. Sa tête partit en arrière et brusquement, elle se tendit vers la jugulaire du Bréton qui n’eut pas le temps de réagir. Les crocs de la mage se plantèrent profondément dans la gorge du vampire, qui poussa un cri de surprise et de douleur. Satisfaite du résultat, elle continua d’enfoncer ses canines aussi profondément qu’elle le pouvait. Profitant de cette diversion, Khaladhen se rua sur le mage glaciaire et lui planta son épée profondément dans le ventre. Celle-ci s’embrasa instantanément, consumant le monstre. Le dernier acolyte fondit sur elle, son cimeterre brandit. Se retournant à peine, l’aventurière tendit brusquement sa jambe gauche, venant percuter du talon la mâchoire de la bête qui recula, sonnée. Retrouvant son équilibre, elle pivota, et la lame qui un instant plus tôt embrasait le corps de son compagnon, se trouva fichée dans le crâne du vampire de la mâchoire au lobe pariétal. Avec une expression d’ahurissement horrifique, le fils de Molag Bal s’effondra au sol.
Les jambes de l’aventurière tremblaient et son souffle était court lorsqu’elle se retourna vers sa partenaire toujours aux prises avec son ravisseur. Celui-ci tendait de la décrocher de son cou et de ses épaules dans lesquelles la Khajit avait planté ses redoutables griffes. Il ne pouvait l’arracher, bien qu’il en aurait eu largement la force, sous peine de se faire arracher la moitié du cou. Toutefois la mage était en mauvaise posture et faiblissait à vue d’œil sous les coups que lui donnait le maître vampire. Kaladhen entreprit de gravir l’enrochement aussi vite qu’elle le pouvait malgré ses jambes flageolantes. Le sol de sable mêlé à la rocaille rendait sa progression difficile et les quelques mètres qui la séparaient de Maï’sha semblaient n’en plus finir. Concentrée sur sa progression, elle entendit un cri suivit d’un craquement sinistre. « *** !!! Maï’sha !!! ». Paniquée, elle gravit les derniers mètres en courant. La scène qu’elle vit était horrible : Le vampire avait saisi la mage à bras le corps, l’enlaçant dans une étreinte sanglante. Les muscles de ses bras étaient tendus sous son pourpoint et Kaladhen comprit que sa poigne était en train de se resserrer jusqu’à faire craquer les os de la pauvre Maï’sha. Le seul point positif était qu’en ayant planté ses dents dans le cou du vampire, elle l’empêchait de bouger la tête et de la mordre à son tour. En voyant arriver l’Elfe, le Bréton eut un sourire rageur et dans un cri furieux souleva la Khajit, resserrant sa prise autour d’elle, et un craquement horrible s’ensuivit. La mage poussa un cri de douleur et relâcha un instant sa prise sur la gorge de son agresseur. Baissant les yeux sur sa proie, le vampire y vit une opportunité à ne pas manquer. Grimaçant sous la douleur de la morsure féline, il tendit sa bouche vers le chat, découvrant ses crocs étincelants. Toute son attention portée vers la mage, qui tentait désormais faiblement de se libérer de son étreinte, il ne perçut qu’au dernier instant, l’Elfe dans son dos. Khaladhen, les yeux flamboyant de rage et de fatigue, leva son épée rescapée l’abattant du haut vers le bas dans le dos du vampire. La lame s’enfonça profondément dans les chairs du monstre qui lâcha la Khajit qui s’effondra, gémissante, au sol. Voyant que Maï’sha était hors de portée, Khaladhen rassembla ses dernières forces et profitant que la lame soit déjà plantée dans le dos du monstre, poussa vers l’avant de toute ses forces en remontant la lame. L’épée s’enfonça de plus belle dans le corps du vampire et ouvrit la cage thoracique du monstre en deux. Puis la guerrière prit soin de la retirer violemment afin de détruire le reste des organes vitaux. Des dommages irréparables pour n’importe quel corps même celui d’un vampire. Le Bréton tourna la tête vers elle, le regard stupéfait et poussa un râle gargouillant avant de s’effondrer face contre terre. « *** de saloperie de *** », grogna Kaladhen en tombant à genoux. La lame noircie par le sang lui échappa des mains. « Va falloir que j’aille chercher l’autre », pensa la guerrière tout en posant son regard sur le cadavre du monstre qui lentement semblait se décomposer comme par magie. « Les années te rattrapent mon vieux, mais une éternité t’attend en Havreglace et franchement je ne t’envie pas. ». Khaladhen ne connaissait que trop bien le calvaire que pouvait représenter un séjour en Havreglace, au royaume de Molag Bal, là où les pires sévices étaient infligés aux condamnés du Prince. En échouant dans sa mission de propagation du mal daedrique, le maître vampire allait passer un sale quart d’heure, un éternel sale quart d’heure.
Perdue dans ses souvenirs, Kaladhen fût tirée de sa rêverie par un gémissement plaintif, plus proche d’un miaulement qu’un cri humain. Rappelée à la réalité son regard se posa sur le corps recroquevillé de douleurs et meurtri de Maï’sha. Se traînant jusqu’à sa compagne, Khaladhen ne put que constater les dégâts. Maï’sha devait avoir plusieurs côtes brisées et sa colonne vertébrale avait connu des jours meilleurs. Tâtonnant dans sa ceinture, Khaladhen trouva une minuscule fiole d’un élixir très puissant à base de skooma qui anesthésie la douleur. L’aventurière en avait toujours sur elle pour tenir en cas de blessure. Saisissant délicatement le museau de la Khajit, elle lui versa quelques gouttes dans la bouche et la força à avaler. Quelques secondes après, Maï’sha ne gémissait plus mais ses yeux trahissaient une grande inquiétude. « Je vais t’emmener à Rimmen, à la Guilde des mages. On va te soigner ne t’inquiète pas. ». Maï’sha baissa les yeux vers les jambes de Khaladhen. « Je suis peut-être trop faible pour te porter mais j’ai toujours une solution de secours », répondit l’Elfe un peu vexée par son propre état. « Je crois que je vais en avoir besoin moi aussi », ajouta-t-elle en avalant quelques gouttes de l’élixir. Aussi la lassitude de ses membres s’évapora, et elle trouva la force de se lever. Avançant doucement, elle récupérera la première épée du peu de restes du maître vampire, puis tâtonnant, elle longea l’escarpement rocheux pour redescendre au campement retirer la seconde épée, toujours plantée dans le crâne de l’acolyte. Une fois remontée, elle se planta à côté de Maï’sha et siffla. Un sifflement mélodieux et presque imperceptible. Un feulement se fit entendre et un superbe fauve éthéré apparu à quelques mètres et s’approcha doucement de sa maîtresse. « Avance mon beau ». La monture baissa la tête vers la Khajit, puis après quelques secondes se coucha à côté d’elle. Khaladhen se pencha alors vers sa compagne : « Il va falloir que tu m’aides un peu » et la souleva le plus délicatement possible tandis que Maï’sha tendait les mains pour s’agripper au harnais de la monture qui restait stoïque. Une fois installée tant bien que mal, la monture se releva et commença à marcher doucement en direction de Rimmen, le siège du pouvoir royal au Nord d’Elsweyr. Heureusement un oratoire n’était pas très loin, celui du temple de Tenmar. Au bout d’une dizaine de minutes, ils arrivèrent à l’oratoire qui était désert à cette heure-ci de la nuit. Tenant fermement les rênes du fauve, Khaladhen fixa la vasque où brûlaient des flammes bleutées et se concentra pour visualiser Rimmen. Bientôt une nuée d’étoiles les entoura et ils disparurent. Seul restait dans la nuit, perché sur la branche d’un arbre, un corbeau aux yeux rougeâtres fixant l’oratoire.